mercredi, 06 mars 2019
Le grand pow-wow de la lumière
La neige vint cet hiver-là, en brouillard qui apaise les contours. La mer était grise, grise et blanche. Des nuées de mouettes voletaient en rangs serrés au-dessus de l’eau. Quelques pas derrière, les flamants, suspendus, jetaient des taches roses sur le vert des étangs. Je marchais de longues heures jusqu’à la cathédrale de Maguelone. Les étangs offraient leur placidité sauvage, le silence retenu de ce qu’était le rivage autrefois, maintenant oublié, à peine ridé par le vent du Nord. Puis arrivait un soleil éclatant, avec les passants, incongrus, lointains dans ce décor de couleurs. Le grand pow-wow de la lumière.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, éditions Lucie
Photo : Ni Houzel Belliappa
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lundi, 04 mars 2019
Imaginer cette côte encore sauvage
À voir changer la couleur des pierres, surgir la lumière crue et acide du Sud, l’âpreté qui annonce les rivages de la Méditerranée, je revivais. L’odeur des aiguilles de pin brûlées, leur bruit sec, craquant sous le pas, la torpeur sous la canicule, l’attente interminable des siestes sans sommeil de l’enfance, le temps arrêté, puis le soir, vent marin qui s’insinue, rédemption, flots de fraîcheur à travers les rues, fluidité et mouvement partout, toutes ces sensations remontaient à la surface. J’étais heureux du chemin parcouru. S’y mêlaient l’apaisement du retour, une envie de quiétude. Michel était le meilleur ami de mon oncle. Il m’hébergea le temps que je m’installe. C’était bon de parler ma langue, entendre son accent, retrouver les phrases, les intonations de l’enfance. Pendant toute une semaine, temps humide et doux, partir à la pêche au petit matin, casser la croûte avec un verre de vin clairet à la première chaleur, puis rentrer dès que le vent tourne au Nord, la mer devenue plaque incandescente, criblée de moutons bondissants, respirer les odeurs de sel comme un peu de soi, imaginer cette côte encore sauvage, avec les moustiques, les macreuses aux reflets myosotis qui glissent sous leurs flancs le bleu du ciel, les étangs regorgeant d’anguilles, sans le bruit des avions, des voitures et des bateaux à moteur.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, Lucie éditions, 2009, extrait
Photo : Eric Frey
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dimanche, 03 mars 2019
La mer à Palavas
Ici, la mer fait l’amour avec la terre, paisiblement. Dans une infinie solitude, gris, bleu et vert sauge. Les plus belles couleurs du monde. Tout est plat à perte de vue. Seule une langue de sable sillonne entre les étangs et la mer. Au bout d’un moment, on ne sait plus où est la terre, où est l’eau.
Raymond Alcovère, extrait de "Le Bonheur est un drôle de serpent", roman, Éditions Lucie, 2009
Courbet, La Mer à Palavas
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jeudi, 30 novembre 2017
À voir changer la couleur des pierres, surgir la lumière crue et acide du Sud
À voir changer la couleur des pierres, surgir la lumière crue et acide du Sud, l’âpreté qui annonce les rivages de la Méditerranée, je revivais. L’odeur des aiguilles de pin brûlées, leur bruit sec, craquant sous le pas, la torpeur sous la canicule, l’attente interminable des siestes sans sommeil de l’enfance, le temps arrêté, puis le soir, vent marin qui s’insinue, rédemption, flots de fraîcheur à travers les rues, fluidité et mouvement partout, toutes ces sensations remontaient à la surface. J’étais heureux du chemin parcouru. S’y mêlaient l’apaisement du retour, une envie de quiétude. Michel était le meilleur ami de mon oncle. Il m’hébergea le temps que je m’installe. C’était bon de parler ma langue, entendre son accent, retrouver les phrases, les intonations de l’enfance. Pendant toute une semaine, temps humide et doux, partir à la pêche au petit matin, casser la croûte avec un verre de vin clairet à la première chaleur, puis rentrer dès que le vent tourne au Nord, la mer devenue plaque incandescente, criblée de moutons bondissants, respirer les odeurs de sel comme un peu de soi, imaginer cette côte encore sauvage, avec les moustiques, les macreuses aux reflets myosotis qui glissent sous leurs flancs le bleu du ciel, les étangs regorgeant d’anguilles, sans le bruit des avions, des voitures et des bateaux à moteur.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, Lucie éditions, 2009, extrait
Photo : Eric Frey
18:33 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
jeudi, 23 novembre 2017
Solsbury Hill
Le lendemain, on est allés à Montpellier. Les rues baignaient dans l’humidité, derrière un rideau liquide. La ville se retrempait dans son passé. Les vieux hôtels émergeaient à peine de l’histoire. Elle était là, vivante, ils nous la racontaient, bruissant du cliquetis des armes et du va-et-vient des fantômes. Vers la fin d’après-midi, la ville s’est réveillée de son apathie. À nouveau, la lumière tamisait les pierres. Les jours suivants, le soleil a répandu sa clarté crue. Comme sous un projecteur, les gestes, se sont mis en perspective. Un désir vague mais puissant rôdait. Un moment que rien n’égale, les sens en attente, chaque souffle, chaque mot, débordant d’émotions à peine contenues. Presque à notre insu, une harmonie s’installait. Inexplicable mais on n’avait pas envie de l’expliquer. Parfois, aux premiers rayons du soleil, j’écoutais Solsbury Hill, puis je sortais jouer avec les perles de l’écume, seul dans la lumière du matin. On a passé trois semaines ensemble, presque sans se quitter, juste avant que je commence à travailler, à réfléchir à ce qui m’attendait, à tout ce que je refusais de voir.
Raymond Alcovère, "Le Bonheur est un drôle de serpent", roman, 2009, Lucie éditions
21:02 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
lundi, 09 octobre 2017
Je ne t’oublierai pas
"Du côté de mes amis, c’était plutôt la dispersion. On avait vécu si près les uns des autres pendant des années, dans les mêmes appartements, que par un mouvement naturel sans doute, chacun avait volé de ses propres ailes. Valentin - j’avais partagé tant d’aventures avec lui - se laissait lentement envahir par l’alcool. Il avait un talent fou pour la musique, l’amitié. Un humour, une ironie mordantes. Il ne pouvait s’empêcher de regarder l’autre côté des choses. Et presque uniquement celui-là. Ce « presque » l’avait rattaché à la vie, mais pas longtemps. Un jour, à force de tutoyer le néant, il l’avait rejoint. Parti vivre aux Pays-Bas après des études de psycho, à son retour il n’était plus le même. Il pouvait se passer de boire, mais s’il avait le malheur de commencer, il ne s’arrêtait qu’ivre mort. Son regard si pétillant devenait hagard, il répétait les mêmes phrases, bientôt il titubait et c’était fini. Tout le temps de mon absence, il avait demandé de mes nouvelles. Et je n’en avais donné à personne. C’était terrible de le voir ainsi, à l’occasion de ses rares passages à Montpellier.
Il jouait divinement de la guitare. Quand j’entends Sampa pa ti, son morceau fétiche, je vois ses doigts courir sur le manche. Souvent, on finissait nos soirées au London Tavern. Fabrice, au piano, flottait au-dessus des événements, sourire fin à travers ses verres épais. On buvait, on parlait avec n’importe qui au London, tout était vrai, parce qu’on ne jugeait rien. Sauf dans les moments où l’alcool l’égarait, j’avais une complicité stupéfiante avec Valentin. Aujourd’hui, j’écoute Flor d’luna et je pense à lui. Un jour, j’en avais assez, je voulais quitter Laure, et lui si discret en général, m’avait répondu sans hésiter : “Ne le fais pas, tu ne pourrais pas vivre sans elle”. Quoi qu’il en soit, mon pote Valentin, j’entends tes phrases, tes notes et je ne t’oublierai pas."
Raymond Alcovère, Le bonheur est un drôle de serpent, Lucie éditions, 2009, extrait
00:56 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent, Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carlos santana
samedi, 03 octobre 2015
Rhapsodie bleu nuit de la pluie et du vent
Je fondais mes rêves dans le bleu délavé de l’horizon, l’amas désordonné des nuages et ce bateau qui filait au milieu de tous ces cataclysmes. La pluie au loin traçait un rideau épais, en grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une trépidation de lames. Le ciel, une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Une symphonie du nouveau monde. Même si c’est vers l’ancien que je me dirigeais. Terrifiante cette immensité sauvage, encore plus que la Sierra, ces vagues dans le désordre de la nuit, remous effrayants, terrifiante et rassurante à la fois avec le bruit continu du bateau, les odeurs de machines, ce bloc de métal monstrueux, fumant et rugissant, traçant son sillon imperturbable à travers les flots déchaînés. Plaisir redoublé par le sentiment de sécurité, sur ce bâtiment sourd aux hurlements de la tempête. Rêvant que mon âme soit pareille, un bloc insubmersible. Tout ce chemin parcouru en si peu de temps. Comme au Mexique, malgré ou à cause de l’absurdité du lieu, je me sentais à ma place, au cœur de cette rhapsodie bleu nuit de la pluie et du vent.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, éditions Lucie
Ivan aivazovsky (1879)
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vendredi, 07 août 2015
Le grand pow-wow de la lumière
La neige vint cet hiver-là, en brouillard qui apaise les contours. La mer était grise, grise et blanche. Des nuées de mouettes voletaient en rangs serrés au dessus de l’eau. Quelques pas derrière, les flamants, suspendus, jetaient des taches roses sur le vert des étangs. Je marchais de longues heures jusqu’à la cathédrale de Maguelone. Les étangs offraient leur placidité sauvage, le silence retenu de ce qu’était le rivage autrefois, maintenant oublié, à peine ridé par le vent du Nord. Puis arrivait un soleil éclatant, avec les passants, incongrus, lointains dans ce décor de couleurs. Le grand pow-wow de la lumière.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, éditions Lucie
Photo : Ni Houzel Belliappa
01:00 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ni houzel belliapa
mardi, 14 juillet 2015
À voir changer la couleur des pierres
À voir changer la couleur des pierres, surgir la lumière crue et acide du Sud, l’âpreté qui annonce les rivages de la Méditerranée, je revivais. L’odeur des aiguilles de pin brûlées, leur bruit sec, craquant sous le pas, la torpeur sous la canicule, l’attente interminable des siestes sans sommeil de l’enfance, le temps arrêté, puis le soir, vent marin qui s’insinue, rédemption, flots de fraîcheur à travers les rues, fluidité et mouvement partout, toutes ces sensations remontaient à la surface. J’étais heureux du chemin parcouru. S’y mêlaient l’apaisement du retour, une envie de quiétude. Michel était le meilleur ami de mon oncle. Il m’hébergea le temps que je m’installe. C’était bon de parler ma langue, entendre son accent, retrouver les phrases, les intonations de l’enfance. Pendant toute une semaine, temps humide et doux, partir à la pêche au petit matin, casser la croûte avec un verre de vin clairet à la première chaleur, puis rentrer dès que le vent tourne au Nord, la mer devenue plaque incandescente, criblée de moutons bondissants, respirer les odeurs de sel comme un peu de soi, imaginer cette côte encore sauvage, avec les moustiques, les macreuses aux reflets myosotis qui glissent sous leurs flancs le bleu du ciel, les étangs regorgeant d’anguilles, sans le bruit des avions, des voitures et des bateaux à moteur.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, Lucie éditions, 2009, extrait
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jeudi, 19 mars 2015
Blanc, bleu gris, soleil voilé
Blanc, bleu gris, soleil voilé. Un peu plus tard, à Sainte-Marie, au bord de l’Océan Indien. Mer miroitante, bleu plus léger des vagues, ombre du ciel sur la mer. Mes pensées enlacées, nous ne faisons qu’un.
Blanc, bleu gris, presque infini et toujours renouvelé. Tout revient toujours à son point de départ. Aujourd’hui, le vent balaye le monde et disperse la brume. Place à la nouveauté. Une vérité émerge. Je vais rendre les armes. Passer outre.
Le ciel est gris de nuages. L’océan s’en mêle. L’horizon, profond et immense, est subjugué, défait, anéanti.
Je suis heureux, touché par cette éternelle beauté qui affleure partout. Ici au bout du monde, je l’ai trouvée. Je n’ai fait que découvrir des bouts du monde. Ils sont au centre. La vérité toujours dissimulée, y éclate en pleine lumière. À présent, le flux va se dérouler sans hâte. Mon rôle est de raconter. Par le dessin, la peinture. Les rencontres sont métaphysiques et l’art en est une manifestation. Dans le temps.
Le bonheur, la chose la plus étonnante, la plus vraie, arrive quand on ne l’attend plus. Ma mort est là, juste à côté de moi. Tout autour, les anges veillent, j’entends le frôlement de leurs ailes. Ils me disent : repousse-la, envoie-la au diable, qui lui est bien vivant. Tu le peux, la force de résister est inscrite dans tes cellules, au plus profond. Une fois cette certitude acquise, la mort s’effiloche, se dissout, le diable s’effondre dans sa chute.
Les vieux textes indiens ne me quittent plus : « Dès qu’on s’attache au Soi suprême, ne serait-ce qu’un instant, on consume entièrement ses fautes, comme l’étincelle de feu une montagne de bois». Ce Soi suprême, c’est soi et le monde, une seule et même dimension. Tout est fini, c'est-à-dire commence. Me voici débarrassé de mes vieux démons. Chassés les faux prophètes.
« Fini d’être consumés par le feu, nous sommes le feu lui-même ». Là est notre liberté. Feu qui couve et flammes, en même temps.
Au loin passe une voile, grand silence autour, tissé de ces millions de vies, si éloignées de la mienne, et pourtant… Contre la force des vagues, les gestes des piroguiers, immuables. Je suis heureux, là, au milieu de ce royaume de la pluie et du vent, je me revois – et tous les instants sont les mêmes – sur ce cargo au retour du Mexique. J’ai aimé ce navire, la sensation de posséder l’univers entier, accoudé au bastingage, à regarder les reflets changeants de la mer et cette avancée imperturbable du bateau. Et sur cette île battue par les vents, qui n’intéresse personne, je suis plus près d’une certaine vérité, du néant, cette dimension négligée, pourtant si présente.
De temps à autre, un surgissement. Il en est de même dans l’Histoire ; sombre et chaotique, elle s’épanouit en de rares moments, des orgasmes du temps. Parfois un grand artiste, un penseur, un homme politique ou un inventeur de génie apparaît improbable, de même dans nos vies, des instants de grâce.
Pourquoi une histoire ? La rose est sans pourquoi. Le vent s’est calmé. L’Océan Indien est là, il frémit, les vagues frissonnent, caressent la plage, ces millions de grains, coquillages qui lentement s’amenuisent, se dispersent, reviennent. L’histoire s’arrête mais en réalité continue. Je t’ai aimée Laure, et je t’aimerai encore.
« Le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant ». Où que je sois dans le monde maintenant, je revois cette terre rouge, les montagnes pelées, ces rizières, ces femmes, hommes, enfants, qui suivent inlassablement les zébus, depuis la nuit des temps. Cette terre rouge de Madagascar que j’aimais regarder du ciel. Ainsi je l’avais vue d’avion la première fois, tout droit sortie de mes rêves de gamin.
Parfois rien ne peut m’apporter la paix, seulement ton image Laure, hors de tout désir conscient, et miracle, c’est en rêve que je la trouve. J’ai hâte de dormir pour rêver de toi. Là je caresse tes cheveux sans fin, tu me parles, tes yeux illuminent tout, je bois ton visage. Il rayonne en moi comme partout où ton regard se pose. Tout à l’heure je dormirai et pourvu que je te rejoigne…
Nous serons à Lisbonne, dans les rues sombres descendant vers le Tage, au milieu d’ombres erratiques, avec cette lumière blanche qui baigne la ville et à l’Hôtel Borges on fera l’amour encore, on ne verra pas le soleil mais aucune importance, avec cet air humide qu’on ne trouve que là-bas, les immeubles délabrés, cette atmosphère anglaise et surannée, Fernando Pessoa, son chapeau, son parapluie seul dans la nuit grise, ici on perd tout sentiment de la réalité. L’œuvre de Pessoa est nocturne et je dessine la nuit. Je ne suis allé qu’une fois à Lisbonne mais c’est comme si j’y étais toujours.
Le temps s’y étend, se dissout, on ne voit que le ciel, il habite tout, mêlé de mer, comme à Venise et ce sont peut-être les deux seules villes habitables avec Paris.
Je bois ton regard Laure, me fous du monde entier, si aujourd’hui plus personne n’ose aimer l’autre, ose se nier au point de l’accueillir, quelle importance. Ils ignorent les délices qui les attendent, quand je me noie dans ton sourire si fin et l’harmonie qui s’en dégage, ce ciel au fond de tes yeux, la toile qui accompagnera ma vie jusqu’au bout.
Le réel me faisait peur, je refusais de voir le versant lumineux de ma vie. Il est là, les grands artistes nous le montrent. Ils ont vraiment existé, vécu, aimé, créé, leur art a occupé tout leur être ; Homère, Tchouang-Tseu, Titien, Montaigne, Bach, Mozart, Rimbaud, Cézanne, Nietzsche, ces corps ont engendré ces œuvres, rien n’est plus réel. C’est vers elles qu’il faut se retourner, en permanence. La beauté du monde, cette illumination constante, est sous nos yeux, peu importe les époques. Ces éclairs ont laissé des traces indélébiles, je n’ai qu’un désir, m’y attarder et entrer dans cette gratuité.
Toute ma vie j’ai cherché l’inaccessible étoile, dont tu n’es peut-être, qu’un nom, l’autre visage, bienheureux. Ce visage je l’ai approché, caressé, aimé. Je n’en demande pas plus.
Aujourd’hui du temps est passé et je me laisse peu à peu guider par le vide, source de toute joie. Au-delà d’un certain point, rien n’est plus explicable. J’ai envie de m’allonger près de toi, Laure, sentir ta chaleur et attendre. J’ai tout. Tout.
Tout revient toujours à sa vérité première, pas de fin, éternel recommencement. Demain, je pars pour le Mexique. Lumière d’or. Faire le vide qui est la vie. Frémissante, celle des arbres, de la pluie insistante et d’un éternel soleil. Je me réveille, là, à cet instant, et tout s’illumine.
Raymond Alcovère, extrait du roman "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, Lucie éditions.
Photo : Raymond Alcovère
19:00 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
dimanche, 27 mai 2012
Solaire
Vision des anges déchus. Une ville solaire, à l’écart des grandes routes du Mexique. Abandonnée de tous, sauf du vent. Et de l’autobus quotidien au départ de la grande ville. Avant, il y avait de l’or, maintenant il reste un hôtel, quelques bars sur la rue principale, des maisons basses. Un soleil âpre et mordant et le vent qui balaie la poussière. Je suis serveur dans cet hôtel, logé, nourri. Venu ici à cause d’un livre, Sur la route, de Jack Kerouac, et de l’arrivée au Mexique, vers la fin, qui ressemble au paradis.
Un jour, j’ai eu envie de partir. J’ai pris le train, le bateau, l’autocar, fait du stop. Comme dans le livre, tout peut arriver et tout arrive d’ailleurs, d’un instant à l’autre, du noir désespoir à des plaisirs fulgurants. Tout ce dont on peut rêver à vingt ans, là, à portée de main. On passe à travers les villes, les pays, comme une étoile filante, de vagues ombres se profilent. On aperçoit des reflets, des lignes se dessinent, furtives. Il est trop tôt pour s’arrêter. On est parti pour savoir comment était fait le destin, en explorer les contours. Le jeu est dangereux mais on ne le sait pas encore, ou on en rêve secrètement.
Raymond Alcovère, Le bonheur est un drôle de serpent, roman, 2009, Lucie éditions, début du texte
Peinture de Frédérique Azaïs-Ferri : Sur la route, 2006
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jeudi, 24 mai 2012
Sur la route
Ce livre m'a tellement fait rêver que j'en resterai à lui
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vendredi, 06 avril 2012
Je ne t'oublierai pas
"Du côté de mes amis, c’était plutôt la dispersion. On avait vécu si près les uns des autres pendant des années, dans les mêmes appartements, que par un mouvement naturel sans doute, chacun avait volé de ses propres ailes. Valentin - j’avais partagé tant d’aventures avec lui - se laissait lentement envahir par l’alcool. Il avait un talent fou pour la musique, l’amitié. Un humour, une ironie mordantes. Il ne pouvait s’empêcher de regarder l’autre côté des choses. Et presque uniquement celui-là. Ce « presque » l’avait rattaché à la vie, mais pas longtemps. Un jour, à force de tutoyer le néant, il l’avait rejoint. Parti vivre aux Pays-Bas après des études de psycho, à son retour il n’était plus le même. Il pouvait se passer de boire, mais s’il avait le malheur de commencer, il ne s’arrêtait qu’ivre mort. Son regard si pétillant devenait hagard, il répétait les mêmes phrases, bientôt il titubait et c’était fini. Tout le temps de mon absence, il avait demandé de mes nouvelles. Et je n’en avais donné à personne. C’était terrible de le voir ainsi, à l’occasion de ses rares passages à Montpellier.
Il jouait divinement de la guitare. Quand j’entends Sampa pa ti, son morceau fétiche, je vois ses doigts courir sur le manche. Souvent, on finissait nos soirées au London Tavern. Fabrice, au piano, flottait au-dessus des événements, sourire fin à travers ses verres épais. On buvait, on parlait avec n’importe qui au London, tout était vrai, parce qu’on ne jugeait rien. Sauf dans les moments où l’alcool l’égarait, j’avais une complicité stupéfiante avec Valentin. Aujourd’hui, j’écoute Flor d’luna et je pense à lui. Un jour, j’en avais assez, je voulais quitter Laure, et lui si discret en général, m’avait répondu sans hésiter : “Ne le fais pas, tu ne pourrais pas vivre sans elle”. Quoi qu’il en soit, mon pote Valentin, j’entends tes phrases, tes notes et je ne t’oublierai pas."
Raymond Alcovère, Le bonheur est un drôle de serpent, Lucie éditions, 2009, extrait
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lundi, 21 février 2011
Blanc, bleu gris, soleil voilé
Blanc, bleu gris, soleil voilé. Un peu plus tard, à Sainte-Marie, au bord de l’océan Indien. Mer miroitante, bleu plus léger des vagues, ombre du ciel sur la mer. Blanc, bleu gris, presque infini et toujours renouvelé. Tout revient toujours à son point de départ. Aujourd’hui, le vent balaye le monde et disperse la brume. Place à la nouveauté. Une vérité émerge. Je vais rendre les armes. Passer outre. Le ciel est gris de nuages. L’océan s’en mêle. L’horizon, profond et immense, est subjugué, défait, anéanti.
Raymond Alcovère, extrait du roman : "Le bonheur est un drôle de serpent", Lucie éditions, 2009
Photo : Raymond Alcovère
21:19 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent
mercredi, 05 mai 2010
Peut-être avais-je atteint...
Peut-être avais-je atteint cet état mystérieux, insondable, ce trouble léger qu’on appelle bonheur. Cet état, cette limite plutôt, qui était ma quête, que j’étais venu chercher ici au bout du monde, que tant d’autres avant moi avaient poursuivi et si peu atteint, cette fêlure dans le réel qui fait oublier la rumeur des jours pour nous plonger transis dans une extase fragile et passagère que l’on cherche à recréer sans cesse sans y parvenir souvent.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", 2009, éditions Lucie
Photo : Edouard Boubat, Graffiti, mai 68
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samedi, 06 mars 2010
Un article sur "Le bonheur est un drôle de serpent"
10:45 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent, jean-jacques marimbert, encres vagabondes
mardi, 23 février 2010
Une lecture du "Bonheur est un drôle de serpent"
à lire ici, sur le blog de Mireille Disdero
Susan Travers, photo de Cornel Lucas
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dimanche, 14 février 2010
La Fabrique des sentiments
J’ai vu hier un film qui traduit bien, à sa façon, tes propos : « La Fabrique des sentiments » de Jean-Marc Moutout, avec Elsa Zylberstein - quelle magnifique actrice ! Une jeune femme réussit très bien sa vie professionnelle, mais n’a pas le même succès dans sa vie amoureuse. Elle fait appel au « Speed dating », c’est hallucinant - le mot dit tout - les gens ont sept minutes pour se présenter à l’autre, tenter de le séduire et obtenir un rendez-vous. Tout a l’air préfabriqué, pourtant c’est réel... Un jeu de chaises musicales, chacun passe de table en table, rejoint un autre candidat à l’amour, sept minutes en tout et pour tout et on enchaîne.
La jeune femme ressent un grand vide. Elle a du temps disponible pour l’amour, mais cet univers lui échappe, elle est passée de l’autre côté, celui de « la fabrique des sentiments ». Les gens autour d’elle sont perdus, à errer dans un monde qui les ignore. Ils maîtrisent l’argent, le travail, ils sont du bon côté de la barrière, mais l’essentiel leur manque. Les hommes aussi sont en apesanteur dans le film, les anciens schémas ont sauté, les femmes sont leurs égales, elles veulent tout, alors ils sont désorientés, fuyants. Il y a le séducteur, apparemment tout va bien, mais le regard perçant de la jeune femme montre le faux ; arrive un autre personnage, décalé, en souffrance ; elle le choisira mais sans être réellement satisfaite. Et puis apparaît la grand-mère, l’amour à son époque on ne s’en souciait pas trop, et là, on comprend, le bonheur est une idée neuve, deux ou trois siècles ne sont rien encore, tout est à construire…
Photo du film
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", vient de paraître, éditions Lucie
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vendredi, 12 février 2010
Le grand pow-wow de la lumière
La neige vint cet hiver-là, en brouillard qui apaise les contours. La mer était grise, grise et blanche. Des nuées de mouettes voletaient en rangs serrés au dessus de l’eau. Quelques pas derrière, les flamants, suspendus, jetaient des taches roses sur le vert des étangs. Je marchais de longues heures jusqu’à la cathédrale de Maguelone. Les étangs offraient leur placidité sauvage, le silence retenu de ce qu’était le rivage autrefois, maintenant oublié, à peine ridé par le vent du Nord. Puis arrivait un soleil éclatant, avec les passants, incongrus, lointains dans ce décor de couleurs. Le grand pow-wow de la lumière.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", vient de paraître, éditions Lucie
00:15 Publié dans Le Bonheur est un drôle de serpent | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le bonheur est un drôle de serpent, jean seberg
mercredi, 03 février 2010
Madagascar
Madagascar, ce n’est ni l’Afrique, ni l’Asie. La terre y est rouge. Pas vraiment une île, pas non plus un continent. Dix-huit ethnies la composent. On y parle le français mais surtout le malgache, une langue superbe, sonore, mélodieuse. Il y a des gens riches mais beaucoup de très pauvres. On est dans l’hémisphère sud, et sur les hauts-plateaux, il fait froid en hiver. On y est majoritairement chrétien mais on croit surtout aux ancêtres. On y adore la politique pourtant la corruption est partout. Les gens n’ont presque rien et la solidarité n’est pas un vain mot. Les rites funéraires sont permanents et on y rit beaucoup. On y est sentimental et nostalgique mais souvent implacable avec les autres. Et les gens vous écoutent vraiment. Dès l’arrivée, je m’y suis senti bien. Comme si j’y étais venu dans une autre vie. Je savais qu’une place m’attendait là. Jamais auparavant je n’avais eu ce sentiment. Un je ne sais quoi, l’air que l’on respire, la force des émotions, une intensité, les paysages.
Ici, tout est plus simple et plus vivant, comme remonté d’un autre âge et toujours là, tranquille et posé dans la lumière. Le temps s’écoule différemment, en profondeur. La projection dans l’avenir est inutile, privée de sens. Le présent allégé, se concentre. Madagascar est un pays pauvre, on est sans cesse renvoyé à cette réalité. Mais derrière s’en dissimule une autre. De retour en Europe, la pauvreté, le vide de nos vies, le décalage constant avec la réalité, le spectacle permanent, jaillissent en pleine lumière. Ici, les gestes ont du sens. On lutte d’abord pour survivre.
Malraux a écrit : « Sans doute un jour, devant les étendues arides ou reconquises par la forêt, nul ne devinera plus ce que l’homme avait imposé d’intelligence aux formes de la terre en dressant les pierres de Florence dans le grand balancement des oliviers toscans ». Cette phrase, je l’ai comprise dans la Grande Île. Ici, un je ne sais quoi a eu lieu, il y a longtemps. Il en reste beauté, dénuement et harmonie. Tout s’éclaire enfin, inscrit dans une perspective. Ce que je cherchais au Mexique, je l’ai trouvé là. C’est absurde, nous avons construit un monde absurde. On peut passer en quelques heures d’une société d’abondance et de faux semblants à ce monde cru, dur, où on se bat à chaque seconde pour sa survie.
Coline et Francis habitent à une douzaine de kilomètres d’Antananarivo, la capitale. On les parcourt à travers des rizières, de belles maisons et des bidonvilles. La foule se presse, à toute heure du jour et de la nuit, autour des échoppes, aux arrêts des taxis-brousse. Les enfants, très jeunes, travaillent au bord des routes, à casser, charrier des pierres, des briques. Des familles entières vivent sans toit, parfois au bord des décharges. Le pays, cette année-là, s’efforçait de donner une image moderne, il organisait les Jeux de l’océan Indien. Au milieu du désordre ambiant, de l’absence d’organisation, surgissaient des affiches clinquantes vantant les mérites du sport et des produits censés le représenter. Alors qu’en Europe, tout le monde ne parle que d’environnement et de sauver la planète, ici le moindre camion ou la plus petite voiture crachent une fumée noire épouvantable qui empuantit l’atmosphère. Et pourtant j’ai trouvé dans ce pays plus de vie qu’en Europe.
Raymond Alcovère, extrait de "Le bonheur est un drôle de serpent", vient de paraître, éditions Lucie
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