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dimanche, 04 février 2024

Tous ces instants mis bout à bout

le bonheur est un drôle de serpentParfois, dans les moments de grande émotion, on a l’intuition de ce que deviendra notre vie plus tard. Il y avait la volupté de ses gestes, ses mots. J’essayais d’imaginer la vie avec elle, mais je ne me sentais pas à la hauteur. Pourtant, tous ces instants mis bout à bout devaient constituer un beau brin de bonheur. J’aurais vendu mon âme pour que cette soirée dure encore. Et elle, impassible. Heureusement, son aura, l’échauffement de mon esprit étaient bénéfiques ; les idées se précipitaient. Je les découvrais même avec gourmandise, emporté dans une frénésie qui m’envoûtait et avec laquelle j’essayais de l’envoûter. J’usais de tout ce qui était en mon pouvoir pour l’attirer dans mes filets, ce rêve impossible. Le plus périlleux, oublier sa beauté, me concentrer sur la discussion. Je me sentais comme un noyé qui tente de grands moulinets de bras, seul au milieu de l’eau et personne pour lui porter secours. Edmundo allait et venait entre les tables. Sans se départir de sa placidité, il m’envoya deux ou trois œillades dans le reflet de la glace avant d’aller se coucher. Maigre mais utile viatique.
Et la nuit avançait. Des siècles, des civilisations entières avaient vécu puis disparu depuis le début de la soirée. Avec le même naturel qui flottait dans ses gestes, elle me fit comprendre qu’elle voulait dormir. Son autocar partait tôt le lendemain matin.
Raymond Alcovère, Le Bonheur est un drôle de serpent, roman, extrait, Lucie éditions, 2009

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