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mardi, 01 novembre 2005

En dansant

Fermez les yeux, attendez, ne pensez plus à rien. Ouvrez-les... N'est-ce-pas... On ne perçoit plus qu'une grande ondulation colorée, hein ? une irisation, des couleurs, une richesse de couleurs. C'est ça que doit nous donner d'abord le tableau, une chaleur harmonieuse, un abîme où l'oeil s'enfonce, une sourde germination. Un état de grâce colorée. Tous ces tons vous coulent dans le sang, n'est-ce-pas ? On se sent ravigoté. On naît au monde vrai. On devient soi-même, on devient de la peinture... Pour aimer un tableau, il faut d'abord l'avoir bu, à longs traits. Perdre conscience. Descendre avec le peintre aux racines sombres, enchevêtrées, des choses, en remonter avec les couleurs, s'épanouir à la lumière avec elles. Savoir voir. Sentir... Surtout devant une grande machine comme en bâtissait Véronèse. Celui-là, allez, il était  heureux. Et tous ceux qui le comprennent, il les rend heureux. Il est un phénomène unique. Il peignait comme nous regardons. Sans plus d'efforts. En dansant.

Cézanne, au Louvre, devant "Les noces de Cana" in "Joachim Gasquet, Cézanne", éditions Encre Marine

07:25 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0)

La lune se levait au ras des flots

La lune se levait au ras des flots, et, sur la ville encore couverte de ténèbres, des points lumineux, des blancheurs brillaient : le timon d'un char dans une cour, quelque haillon de toile suspendu, l'angle d'un mur, un collier d'or à la poitrine d'un dieu. Les boules de verre sur les toits des temples rayonnaient, çà et là comme de gros diamants. Mais de vagues ruines, des tas de terre noire, des jardins faisaient des masses plus sombres dans l'obscurité, et, au bas de Malqua, des filets de pêcheurs s'étendaient d'une maison à l'autre, comme de gigantesques chauves- souris déployant leurs ailes. On n'entendait plus le grincement des roues hydrauliques qui apportaient l'eau au dernier étage des palais ; : et au milieu des terrasses, les chameaux reposaient tranquillement, couchés sur le ventre, à la manière des autruches. Les portiers dormaient dans les rues contre le seuil des maisons ; l'ombre des colosses s'allongeait sur les places désertes ; au loin quelquefois la fumée d'un sacrifice brûlant encore s'échappait par les tuiles de bronze, et la brise lourde apportait avec des parfums d'aromates les senteurs de la marine et l'exhalaison des murailles chauffées par le soleil. Autour de Carthage les ondes immobiles resplendissaient, car la lune étalait sa lueur tout à la fois sur le golfe environné de montagnes et sur le lac de Tunis, où des phénicoptères parmi les bancs de sable formaient de longues lignes roses, tandis qu'au-delà, sous les catacombes, la grande lagune salée miroitait comme un morceau d'argent. La voûte du ciel bleu s'enfonçait à l'horizon, d'un côté dans le poudroiement des plaines, de l'autre dans les brumes de la mer, et sur le sommet de l'Acropole les cyprès pyramidaux bordant le temple d'Eschmoûn se balançaient, et faisaient un murmure, comme les flots réguliers qui battaient lentement le long du môle, au bas des remparts.

Flaubert, Salammbô