jeudi, 11 mai 2006
Chanson d'après-midi
 Quoique tes sourcils méchants
Quoique tes sourcils méchants
 Te donnent un air étrange
 Qui n'est pas celui d'un ange,
 Sorcière aux yeux alléchants,
 
 Je t'adore, ô ma frivole,
 Ma terrible passion!
 Avec la dévotion
 Du prêtre pour son idole.
 
 Le désert et la forêt ,
 Embaument tes tresses rudes,
 Ta tête a les attitudes
 De l'énigme et du secret.
 
 Sur ta chair le parfum rôde
 Comme autour d'un encensoir;
 Tu charmes comme le soir,
 Nymphe ténébreuse et chaude.
 
 Ah ! les philtres les plus forts
 Ne valent pas ta paresse,
 Et tu connais la caresse
 Qui fait revivre les morts !
 
 Tes hanches sont amoureuses
 De ton dos et de tes seins,
 Et tu ravis les coussins
 Par tes poses langoureuses.
 
 Quelquefois, pour apaiser
 Ta rage mystérieuse,
 Tu prodigues, sérieuse,
 La morsure et le baiser ;
 
 Tu me déchires, ma brune,
 Avec un rire moqueur,
 Et puis tu mets sur mon cœur
 Ton œil doux comme la lune .
 
 Sous tes souliers de satin,
 Sous tes charmants pieds de soie,
 Moi, je mets ma grande joie,
 Mon génie et mon destin,
 
 Mon âme par toi guérie,
 Par toi, lumière et couleur !
 Explosion de chaleur
 Dans ma noire Sibérie.
 Baudelaire, Chanson d'après-midi
Portrait of Frau Feez, Franz Von Stuck, 1900
17:31 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

















 
 

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