mercredi, 23 novembre 2005
La poésie
Et ce fut à cet âge... La poésie
 vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d'où
 elle surgit, de l'hiver ou du fleuve.
 Je ne sais ni comment ni quand,
 non, ce n'étaient pas des voix, ce n'étaient pas
 des mots, ni le silence:
 d'une rue elle me hélait,
 des branches de la nuit,
 soudain parmi les autres,
 parmi des feux violents
 ou dans le retour solitaire,
 sans visage elle était là
 et me touchait.
 
 
 Je ne savais que dire, ma bouche
 ne savait pas
 nommer,
 mes yeux étaient aveugles,
 et quelque chose cognait dans mon âme,
 fièvre ou ailes perdues,
 je me formai seul peu à peu,
 déchiffrant
 cette brûlure,
 et j'écrivis la première ligne confuse,
 confuse, sans corps, pure
 ânerie,
 pur savoir
 de celui-là qui ne sait rien,
 et je vis tout à coup
 le ciel
 égrené
 et ouvert,
 des planètes,
 des plantations vibrantes,
 l'ombre perforée,
 criblée
 de flèches, de feu et de fleurs,
 la nuit qui roule et qui écrase, l'univers.
 
 
 Et moi, infime créature,
 grisé par le grand vide
 constellé,
 à l'instar, à l'image
 du mystère,
 je me sentis pure partie
 de l'abîme,
 je roulai avec les étoiles,
 mon coeur se dénoua dans le vent.
 
 (Pablo Neruda, Mémorial de l'île Noire, 1964)
22:40 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
















 

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