mercredi, 14 novembre 2007
Franck Pavloff
Voici un entretien que j'avais réalisé avec l'écrivain Franck Pavloff (le 11 février 2004) pour la revue Salmigondis n° 21 (un dossier lui était consacré)
Ø Il y a chez vous en tant qu’écrivain un désir de parler du réel. Pourquoi avoir choisi la fiction ?
Je suis un écrivain du réel, inscrit fortement dans la vie sociale ; c’est ça pour moi le réel. Professionnellement aussi, ce qui m’intéresse c’est la réalité du monde. Mais je ne suis pas journaliste ; le privilège de l’écrivain c’est de s’appuyer sur le réel pour en dire plus. Bizarrement, si on ne parle que du réel, on ne s’approche pas forcément de la réalité. Par exemple ici, nous sommes dans un bar, il y a des gens autour, apparemment tout est calme, mais il se passe peut-être dans leur vie des tempêtes, des drames, des bonheurs, qu’on ne voit pas. L’écriture justement, permet de raconter cela. C’est dire l’autre face du réel. La fiction c’est cette capacité qu’un écrivain doit avoir de pousser le réel dans ses retranchements. Pour y mettre de la tension. Et la fiction quand elle est réussie, c’est aussi ce qui permet d’atteindre à l’universel.
ØVous êtes un écrivain intéressé par d’autres formes d’expression ?
Oui, je trouve que l’écriture est un support un peu lent. J’ai envie de me frotter avec d’autres moyens d’expression, la photo, le théâtre, le cinéma. Aujourd’hui, ce qui raconte le plus le monde aux jeunes, c’est l’image ; je suis très intéressé par un échange avec d’autres formes d’expression. Les arts plastiques ont fait un travail que l’écriture n’a pas fait ; il me semble que l’écriture reste policée, elle est un peu “ le gardien du temple ”. Pourtant l’invention de l’image animée a changé l’écriture. Le polar est à peu près contemporain du cinéma. L’écriture de polar, par la tension qu’elle implique, a changé la donne. C’est pour ça que j’aime le roman noir, car il implique une écriture comportementaliste, ce qui constitue un bouleversement par rapport au roman psychologique du XIX ème.
ØVous êtes spécialiste du droit des enfants, vous intervenez à ce titre pour des tribunaux, et vous êtes aussi directeur de collection pour la jeunesse : c’est un aspect important de votre activité ?
Oui j’ai toujours beaucoup travaillé avec les jeunes : l’avantage du roman noir pour eux c’est qu’il reflète leur vie de tous les jours : on parle d’eux, en un sens le livre leur appartient, ce n’est pas un objet éloigné du réel, de leur réel, il devient accessible. Le noir aussi c’est la couleur de l’initiation, le roman noir c’est un roman d’initiation : comme dans les rites initiatiques en Afrique par exemple, où le héros doit traverser un certain nombre d’épreuves avant d’entrer dans le monde des adultes. C’est ce qui fait la différence avec le roman noir pour adultes ; dans le roman jeunesse, le héros doit sortir vainqueur de l’épreuve.
Sinon j’ai écrit aussi pour dénoncer la maltraitance des enfants, la prostitution en Asie notamment : sur ce genre de sujets l’écriture s’avère à mon sens un meilleur moyen d’expression, car la télévision parfois n’échappe pas au voyeurisme. Et puis il y a cette liberté de la lecture, qu’on peut interrompre à son gré et qui n’existe pas avec le défilement des images. Sur ces questions du droit des enfants, je travaille avec des ONG, Terre des Hommes Lausanne, Handicap International, etc. et c’est un travail qui a commencé de porter ses fruits, il existe maintenant des lois pour lutter contre le tourisme sexuel : pour faire avancer le droit des enfants, il faut un “ coup de gueule ” puis un “ coup de droit ” , c’est ainsi !
ØVous voyagez beaucoup : que pensez du monde aujourd’hui ?
Je ne suis pas pessimiste pour le monde, il est terriblement complexe, mais je trouve beaucoup d’intérêt chez les jeunes, ils ne font pas que regarder la télévision. Suite à “ Matin brun ”, je suis intervenu dans des dizaines et des dizaines de classes, et j’y ai rencontré beaucoup d’enthousiasme, de nombreux jeunes ont envie de faire autre chose aujourd’hui…
Ø Sur l’île déserte, quel(s) livre(s) emporteriez-vous ?
“ Les saisons ” de Maurice Pons, un livre qui m’emporte dans un imaginaire lourd de sens, où la dérision se mêle à la poésie, l’or à la suie, un univers d’images glaciales et brûlantes, que je lis et relis, chahuté par le rire, l’émotion, la tendresse et le désespoir. Ensuite un exemplaire de la Pléiade avec au moins 2000 pages de papier bible vierges (je triche un peu), et écrire enfin totalement isolé du monde réel et apprivoiser la page blanche.
00:15 Publié dans Interview | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Franck Pavloff, interview, Salmigondis