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jeudi, 04 avril 2013

La mer au plus près

Albert Camus" J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j'attends. J'attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide.[...]
J'attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu'importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration, des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n'ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l'habiller à la mode. [...]
Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suis, j'ai une folie toute prête. Ceux qui s'aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n'est pas le désespoir: ils savent que l'amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l'exil. J'attends encore. [...]
Le soir venu, sous le ciel qui verdit et recule, la mer, si calme pourtant, s'apaise encore. De courtes vagues soufflent une buée d'écume sur la grève tiède. Les oiseaux de mer ont disparu. Il ne reste qu'un espace, offert au voyage immobile.

Certaines nuits dont la douceur se prolonge, oui, cela aide à mourir de savoir qu'elles reviendront après nous sur la terre et la mer. Grande mer, toujours labourée, toujours vierge, ma religion avec la nuit! Elle nous lave et nous rassasie dans ses sillons stériles, elle nous libère et nous tient debout. [...]
A minuit, seul sur le rivage. Attendre encore, et je partirai. [...] L'espace et le silence pèsent d'un seul poids sur le cœur. [...] Délicieuse angoisse d'être, proximité exquise d'un danger dont nous ne connaissons pas le nom, vivre, alors, est-ce courir à sa perte? A nouveau, sans répit, courons à notre perte.

J'ai toujours eu l'impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d'un bonheur royal. "

(Albert Camus, La mer au plus près)

00:06 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : albert camus

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