La haine secrète (secrète même pour qui l’éprouve) que l’être humain, et tout spécialement celui qui – critique, éditeur, universitaire etc – gravite autour de la littérature, sa haine secrète envers les écrivains n’a peut-être d’égale que la haine secrète que l’auteur porte à l’écriture : la haine de qui, par une exaspération de l’amour, est en situation de dépendance. Qu’est-ce que cette vie qui ne peut se vivre qu’avec un carnet constamment à portée de main ? Rimbaud la rejeta avec rage et on le vit, au désert, manifester sa honte quand se trouvait évoquée son ancienne activité de poète. Kafka demanda que soient brûlés ses manuscrits. Le verbe avait dévoré leur vie, le verbe qui seul pourtant leur avait permis d’accéder à leur essence, de réaliser leur être dans la plus grande liberté possible.
Or le genre humain est aujourd’hui débordé par un verbe qui n’est même plus libérateur, le genre humain est débordé par la parole proliférante et mensongère du spectacle, le genre humain est réduit au bruit incessant, au bavardage vertigineusement creux et inefficace, aux langues de bois des médias, des politiques, des religieux, des scientifiques et des spécialistes de toute sorte, à la langue absurde et totalitariste des transactions financières, à l’incessante et compacte propagande, le genre humain tout entier n’est plus qu’un misérable insecte englué dans une toile de signes dépourvus de chair et de sens, et tout en s’autodétruisant dans les pires convulsions, anesthésié et paralysé, asphyxié dans sa honte et son impuissance, émet comme une bave d’agonisant d’ultimes rêves de lumière, semblable à cette « lumière bleue » glaciale que Leni Riefensthal fantasma dans son premier film éponyme, en 1933, avant de foncer, fascinée, dans le mur du discours hitlérien.
Que les poètes nous fassent entendre leur langue de poète, vite. Si l’être humain n’a pas de rapport légitime à la vie, il lui faut, absolument, établir et garder sans cesse un rapport poétique avec elle.
Alina Reyes
Commentaires
ça faisait un bout de temps que je voulais laisser un commentaire sur ce blog ! mais je ne savais pas comment faire : URL, c'est quoi ? en fait on en n'a pas besoin ! Simplement, vive Houellebecq et comment ça se fait qu'il n'ait pas eu le Goncourt ? Je vous le demande ! C'est pas juste ! Quelle bande d'idiots !!!
bientôt, cher Monsieur Alcovère !
Écrit par : LulaBach | vendredi, 04 novembre 2005
l'URL c'est une adresse de site internet (http://...), si vous en avez un vous l'inscrivez dans la case et en cliquant dessus l'internaute y accède directement. Mais c'est facultatif bien sûr, pas de problème ! Eh oui cette histoire de Goncourt est d'un ridicule achevé ; ceci dit, vu la liste des primés, à part quelques uns, il vaut mieux ne pas en faire partie. Le livre de Houellebecq lui n'a pas fini sa course lui, loin de là !
Écrit par : Ray | vendredi, 04 novembre 2005
Tu ne vas tout de même pas nous en remettre une couche, Ray !
Écrit par : Rick Hunter | vendredi, 04 novembre 2005
Le même coup qu'avec Céline !
Écrit par : Ray | vendredi, 04 novembre 2005
Ben, j'espère qu'on n'aura pas une guerre dans six ou sept ans. Et, si jamais, que Welbek choisira mieux son camp que LFC...
Écrit par : Rick Hunter | vendredi, 04 novembre 2005
Le coup de la haine secrète envers les écrivains !
Pour paraphraser une de tes précédentes notes, Ray : ce n'est pas tout de ne pas avoir le Goncourt, il faut mériter de ne pas l'avoir !
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
Ooops, nos commentaires se sont croisés, Rick.
Après tout peu importe le camp de MH ou de LFC, ce ne sont pas leurs écrits qui feront le crime, c'est le crime qui a fait leurs écrits.
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
Eh oui comme dit ma concierge, la société est un crime commis en commun !
Écrit par : Ray | vendredi, 04 novembre 2005
Ta concierge reçoit sur son divan ?
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
C'est si important que ça un prix littéraire?
Le vagabond et génial philosophe intemporel de Sils Maria éditait ses livres à compte d'auteur puis les distribuait à ses amis. "La naissance de la tragédie et Ainsi parlait zarathoustra" furent tirés à ...40 exemplaires chacun.
Lorsque le reste du monde découvrait ce marcheur impénitent de la pensée,il y avait si longtemps qu'il s'était éteint à Iena en 1900 non savoir avoir posé ses doigts frêles sur un piano peu avant sa mort en criant "Je suis le christ, Je suis Dionysos...!!!
Je sens un peu d'amertume dans ta voix Alina!Tu es mieux placée pour nous parler du petit monde littéraire parisien et de ses "combinazione".
Alors Ray,Welbek fera son chemin d'artiste au delà des aigreurs et de la jalousie qui exsudent de nos critiques littéraires parisiens sentencieux. Que sont devenus les piètres aèdes dont la grèce antique ceignait les reins des lauriers de Delphes?
Courage,les amis! Entonnez avec LF Destouches et F.Nietszche le chant désarmant du "gai savoir"
....car je t'aime ô éternité...
Écrit par : Bona | vendredi, 04 novembre 2005
Bona tu as raison et c'est bien la première fois que je me préoccupe du Goncourt, je suis une vraie andouille, je râle alors que tout ça est parfaitement normal et connu et couru d'avance.
(mais dieu merci, non je ne suis pas mieux placée qu'un autre pour savoir ce qui se trame dans le "petit monde")
ô éternité...
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
Alors belle amie, qu'est ce qui s'est passé dans ta tête pour que tu sois si préoccupée du Goncourt après toutes ces années? Cours vite chez la concierge de Ray; elle reçoit sans rendez-vous sur son canapé de chez Ikéa;Mais Gare à toi! Ray, écoutera tes confidences derrière un rideau dissimulé et nous les livrera en direct "live" sans état d'âme.
Écrit par : Bona | vendredi, 04 novembre 2005
Quel sale espion ce Ray ! Et toi aussi, hein, tu es de mèche avec lui ?
Il s'est passé que pour une fois j'ai adoré un roman de la rentrée. Enfin non ça a déjà dû m'arriver, mais je ne dirai rien, là !
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
"Plus mèche encore" comme dirait le bègue de Sam Beckett
dans "Cap au pire".
...Soit dit plus mèche encore...
"Mieux plus mal pas plus loin. Plus mèche moins. Plus mèche pire. Plus mèche néant. Plus mèche encore.
...Soit dit plus mèche encore.
Pour te redonner un peu de baume au coeur, Alina!
Écrit par : Bona | vendredi, 04 novembre 2005
Ben moi, j'aime bien cette intervention de Bona.
Et j'aime bien aussi la manière dont Alina l'a accueillie.
Voilà.
Écrit par : Roland Fuentès | vendredi, 04 novembre 2005
Oh n'exagérons rien, ça ne me fait tout de même pas tant de peine !
Et mon coeur, tu sais, tant qu'il bat, il va !
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
décidément... cette fois j'ai posté en même temps que Roland... oui, Bona a toujours raison, parce qu'il n'oublie pas de sourire...
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
C'est une immense qualité, en effet.
Écrit par : Roland Fuentès | vendredi, 04 novembre 2005
Oooops, comment me depétrer de ces louanges et de ces lauriers de...Delphes?non. De chez Druant?non plus! du café de Flore?Du fouquet's,mince alors!Faut que je trouve...
Je souris toujours parce que le maître des lieux me le recommande:"souris Bona, tu es filmé".
Sacré Ray, j'ai beau le taquiner, il reste de marbre aujourd'hui! Les maîtres de chez Druant lui ont cloué le welbec!
Écrit par : Bona | vendredi, 04 novembre 2005
ça y est, j'ai trouvé!
Je souris parce que peintre, je suis un chapardeur ému et sarcastique de toute beauté dans les petites choses de la vie quotidienne. Là est ma liberté. Là est mon droit de veille.
Écrit par : Bona | vendredi, 04 novembre 2005
Scusez j'étais avec ma concierge, son divan est passionnant vraiment, et puis j'ai l'impression à vous lire d'avoir compris plein de trucs
Écrit par : Ray | vendredi, 04 novembre 2005
Scusez, mais moi, pour comprendre, c'est plus dur. D'abord, WB, dé-primé, cela me va. Puis, c'est Nietzsche et non Nietszche, bon, je sais, c'est une remarque légère, mais quand même quand on aime, on compte, et puis, pour vous dire, l'image que je préfère, c'est quand Nietzsche, en pleine rue, se jette devant une calèche, se pend au cou du cheval en pleurant et sombre dans la folie dont il ne reviendra pas. C'est commme le "crénom" de Baudelaire. Sinon, oui, en dehors que quelques commentaires, comment dire,… non je ne dirai rien, eh bien je trouve intrtessante l'intervention d'Alina, mais critique je suis. Je ne sais pas si Kafka a voulu brûler ses manuscrits par haine de l'écriture (seul lieu où il peut "s'expliquer" avec le monde, dirait Nietzsche) ! N'est-ce pas plutôt parce qu'ils n'étaient pas à la hauteur de l'idée qu'il se faisait de la littérature ? Ou un signe éminent de simplicité ? Cette insatisfaction manifesterait alors une quête incessante, à la fois nourricière et destructrice. Bon, that's all, folks. Pour moi, il y a une insatisfaction irrepressible, qu'il faut "gérer", sans jamais y parvenir. Bon, voilà que je dis des banalités, maintenant, j'arrête.
Écrit par : J.-J. M. | vendredi, 04 novembre 2005
"Je ne sais pas si Kafka a voulu brûler ses manuscrits par haine de l'écriture (seul lieu où il peut "s'expliquer" avec le monde, dirait Nietzsche) ! N'est-ce pas plutôt parce qu'ils n'étaient pas à la hauteur de l'idée qu'il se faisait de la littérature ?"
Je pencherai pour cette hypothèse, moi...
Écrit par : Calou | vendredi, 04 novembre 2005
C'est vrai, on ne sait pas pourquoi Kafka demanda que ses manuscrits soient brûlés et bien sûr on pense d'abord à l'insatisfaction, une espèce de modestie, mais tout de même il y a des moments, il faudrait que je retrouve au moins une citation, peut-être après dîner si j'ai le temps, où il dit que l'écriture est une activité diabolique, enfin des paroles très fortes sur le fait que l'écriture peut convoquer le mal. Alors que je ne me souviens pas qu'il se soit beaucoup plaint d'être insatisfait de ce qu'il écrit. Je crois même qu'il était tout à fait conscient de la valeur de ce qu'il écrivait, comme Rimbaud d'ailleurs, le problème était ailleurs, oui, je crois bien, vraiment...
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
Juste un mot, peut-être sans importance. Oui sur la question du mal, en effet très présente quez lui. Mais je ne sais pas s'il s'agit de haine de la littérature (cela mériterait plus que ma pette remarque), quand même. L'insatisfaction (aurais-je dû dire désespoir ? Probablemant) dont je parle atteint l'essentiel (l'ineffable ?), non celle qu'il aurait pu manifester par rapport à ses écrits, même si c'est le plus important qui en porte les effets, et qu'il voulait brûler. Peut-être y avait-il aussi une culpabilité. Peut-être une haine de soi.
Écrit par : J.-J. M. | vendredi, 04 novembre 2005
Petite précision : Kafka a uniquement demandé à Max Brod (d'une manière très ambiguë, d'ailleurs) de brûler ses manuscrits inachevés. Pas autre chose.
Personnellement je trouve heureux que Le Procès, Le château et L'Amérique nous soient parvenus, même en l'état d'inachèvement qui est le leur, mais on peut comprendre qu'un auteur aussi perfectionniste que Kafka (dans ses textes courts en tout cas) n'ait pas voulu qu'on lise des textes non aboutis.
Le reste, l'histoire de l'auteur inconnu qui renie son oeuvre et qui sera découvert plus tard, c'est de la légende. Kafka n'a jamais renié les 5 livres publiés de son vivant, et, tu as raison Alina, malgré quelques déclarations les concernant où perce à mon avis une espèce de (fausse) modestie, il en avait l'air plutôt satisfait.
Écrit par : Roland Fuentès | vendredi, 04 novembre 2005
Je crois que des gens comme Rimbaud ou Kafka sont proprement incompréhensibles pour nous pauvres mortels, on peut essayer bien sûr. Kafka a écrit je crois "je suis une mémoire devenue vivante", comme si son extraordinaire sensibilité, perméabilité au monde lui accordait une acuité, une présence si fine, si puissante, (comme l'ont peut-être les enfants) et le rendait incapable d'oubli, et par là incapable d'accomodations, de compromis avec le quotidien, les régles sociales. Ce trop de présence au monde qu'il réussit à libérer en partie par l'écriture fit qu'il ne souhaita pas qu'il y ait une suite ; Rimbaud de même à un moment a compris qu'il ne pouvait pas aller plus loin, qu'on ne pouvait pas aller plus loin, il est passé à autre chose tout simplement.
Écrit par : Ray | vendredi, 04 novembre 2005
Ah je dois sortir maintenant, dommage. Oui avec tout ce que tu dis Ray, oui aussi aux autres remarques - juste dire très vite que concernant la haine ou la honte chez Kafka, j'ai écrit un texte là-dessus sur mon blog, en bas là où il y a sa photo...
Écrit par : Alina | vendredi, 04 novembre 2005
Oui, bien sûr, en ce qui concerne la distinction faite par K lui-même entre cinq de ses écrits et le reste (cf la lettre à Max transmise à Ray). Mais nombre de déclarations, dans le journal, indiquent plutôt de l'insatisfaction, motrice en un sens, inhérente à l'entreprise même de l'écriture, d'ailleurs la nuance invoquée plus haut (K. "plutôt" satisfait) ne contient-elle pas ce qui ne peut que ronger la satisfaction et éviter qu'elle se teinte de fatuité (le pire) ou, plus platement, du sentiment d'être parvenu (!) à ce qui ne peut être entendu que comme horizon, bien loin, me semble-t-il, d'une quelconque modestie, fausse ou non. C'est plus coplexe, parfois contradictoire. La solitude est ici fondamentale, l'isolement constitutif d'un mode dêtre et d'un rapport au monde, d'où cette "présence" dont parle Ray, si problématique.
Écrit par : J.-J. M. | samedi, 05 novembre 2005
Je suis retourné à Blanchot pour y lire :
"C'est l'impatience qui rend le terme inaccessible en lui substituant la proximité d'une figure intermédiaire. C'est l'impatience qui détruit l'appproche du terme en empêchant de reconnaître dans l'intermédiaire la figure de l'immédiat.
[…] Kafka, peut-être à son insu, a profondément éprouvé qu'écrire, c'est se livrer à l'incessant et, par angoisse, angoisse de l'impatience, souci scrupuleux de l'exigence d'écrire, il s'est le plus souvent réfusé à ce saut qui seul permet l'achèvement, cette confiance insouciante et heureuse par laquelle (momentanémment) un terme est mis à l'interminable.
Mairice Blanchot, L'Espace littéraire, pp. 93, 95
Écrit par : J.-J. M. | samedi, 05 novembre 2005
« Ecrire est une douce et admirable récompense, mais pour quoi ?… pour avoir servi le diable », dit Kafka, qui parle aussi d'une "descente vers les puissances obscures".
Il y aurait donc une jouissance coupable de l'écriture.
C'est d'ailleurs un constat fait par d'autres romanciers, je pense à deux romans de cette année, celui de Bret Easton Ellis et celui de Houellebecq, où le thème est très présent, quoique évoqué plus concrètement que chez Kafka : chez BEE, l'écrit déclenche le crime, a le pouvoir magique de faire advenir le crime imaginé ; chez M.H l'auteur par son cynisme participe au "crime de tous", comme dit la concierge de Ray.
Oui, en tant que super récepteur du monde, l'auteur est aussi contaminé par le mal, c'est sans doute la question la plus profonde, la plus enfouie, sur l'essence du rapport de l'homme au verbe. Une question métaphysique, et bien sûr Kafka savait descendre dans ces profondeurs, "nous creusons la fosse de Babel", voilà bien une question liée au langage.
L'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres,disait Lautréamont, mais il se peut qu'au bout de la descente il soit saisi d'un doute, au moins : n'est-il pas en train de créer le malheur dans la vie elle-même ?
Ne faut-il pas entendre cela dans certains voeux de silence, pour finir ?
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
Oui.
Écrit par : J.-J. M. | samedi, 05 novembre 2005
Juste un amical point : c'est bien différent de "la haine de la littérature" dont il était question au début, car ce que vous dites à propos du diable poursuit la question de "l'angoisse de l'impatience" dont parle Blanchot. C'est simplement la version-interprétation "haine de la littérature" qui me fait réagir ainsi. Cela réduit la portée de ce que vous dites sur le mal par ailleurs, plus complexe. Enfin, tel est mon point de vue, pas plus…, mais pas moins, scregneugneu.
Écrit par : J.-J. M. | samedi, 05 novembre 2005
Encore une fois, nos derniers commentaires s'étaient croisés, c'est pourquoi je n'ai pas réagi sur Blanchot - très intéressant en effet. Kafka dit quelque part que lorsqu'il commence à être heureux par l'écriture, alors il devient incapable d'écrire, le processus cesse, il a besoin d'être nostalgique de la littérature, il y a là quelque chose d'infernal.
Juste préciser : je n'ai pas parlé de haine de la littérature, mais de l'écriture. De ce versant de l'écriture où l'auteur est en position de "champion de jeûne" par rapport à la vie, où l'écriture est criminelle de l'homme...
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
Lettre à Max Brod du 5-7-22 : "pourquoi, au-delà du remords, le mot final de ces nuits-là reste-t-il toujours : je pourrais vivre et je ne vis pas ?"
et :
"Ce que j'ai joué va vraiment arriver. Je ne me suis pas racheté par la littérature. J'ai passé toute ma vie à mourir et maintenant je vais vraiment mourir"
mais aussi :
"je suis assez écrivain pour jouir de cette situation de tous mes sens"
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
Descendre dans les profondeurs glaciales de l'être muni d'une arme miraculeuse:l'écriture comme" la hache qui permet de briser la glace gelée en nous"
Cela ne console pas, mais réactive les energies qui permettent de"bondir hors du rang des meurtriers".Kafka procède par reptation, par captations lentes, faites de doute et d'abandon continuel; et lorsqu'il manque de sérieux,comme il le dit dans une lettre à Felice Bauer, il s'en tire par des plaisanteries.
Bonjour à tous.
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Oui, il y a une lettre à Ottla où il raconte avoir mal dormi parce qu'il avait mangé des sardines, bien préparées et tout là n'était pas le problème, non, mais le simple fait d'avoir mangé des sardines, au lieu de viande, lui a donné à penser, rêver et se tourmenter dans la nuit.
Là-dessus il conclut qu'au matin il a retrouvé le moral, parce que "après tout, c'est moi qui ai mangé les sardines et non pas elles qui m'ont mangé !"
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
Voici la lettre, pardon pour le retard !
Écrit par : Ray | samedi, 05 novembre 2005
La peur d'être mangé par les sardines.
C'est une question de devenir. Le même thème apparaît dans la Penthésilée de Kleist. Le devenir-chienne.Le devenir- baleine chez Melville dans Moby dick, " ou bien la chose, l'Entité de Lovecraft, la terreur".
Gilles Deleuze écrit ceci dans ses dialogues avec Claire Parnet :"Il se peut qu'écrire soit dans un rapport essentiel avec les lignes de fuite. Ecrire c'est tracer des lignes de fuite...C'est devenir autre chose."
Kafka a retrouvé le moral. Tu l'as écrit Alina.
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Ah oui c'est une interprétation très intéressante.
Moi j'avais pensé qu'il n'était pas content d'avoir dû se contenter de sardines, au lieu de viande, se contenter de l'ordinaire - eh bien oui, ça arrive mais tant que ce n'est pas lui qui nous mange... La viande au prochain dîner ?
Alors, Bona, l'appétit aussi reste bon !
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
Non merci pour la viande, je suis végétarien.
Kafka au matin fut content de garder sa tête car comme personne ne le sait, les sardines en boîte sont sans tête.
Bon appétit tout de même!
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Petite remarque en passant, qui n'apportera rien à la discussion mais vous donnera peut-être envie de lire le dernier livre d'Eric Faye ("Mes trains de nuit", chez Stock) : cet auteur très influencé par Kafka nous propose une promenade littéraire en train à travers l'Europe, et justement, dans le passage que je lis en ce moment, nous sommes à bord du "Kafka Express", un train qui a réellement existé jusqu'en 2001...
Écrit par : Roland Fuentès | samedi, 05 novembre 2005
Bona tu me déçois, moi qui t'imaginais bon vivant !
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
"Kafka Express", fallait oser, j'adore !
Écrit par : Alina | samedi, 05 novembre 2005
"Cet Inter Regional a bel et bien circulé avant d'être supprimé fin 2001, en même temps que l'"Albert Einstein", son alter ego sur la même ligne. J'avais déjà pris des "Victor Hugo" ou des "Goethe" sans réticence, mais l'existence d'un "Franz Kafka", même révolue, continue de me troubler. Comment ce train pouvait-il assurer un service normal ? Respecter des horaires ; arriver à destination ; offrir une gamme de prestations ; s'arrêter dans les gares où il était prévu qu'il le fît ; fonctionner en somme professionnellement, comme n'importe quel autre train, sans malice ni tour absurde, sans que les voyageurs parviennent au terminus sous l'aspect de cancrelats. Que l'on pût baptiser un express – amené comme tout autre à ingurgiter puis régurgiter des passagers à heures fixes – du nom de l'inventeur du fantastique moderne, où l'homme est pris de vertige devant sa propre énigme, me laisse dans un état de grande perplexité."
Eric Faye : Mes trains de nuit (éd. Stock 2005)
Écrit par : Roland Fuentès | samedi, 05 novembre 2005
Ouille! je suis démasqué!
Je suis désolé Alina!
Salut cher Roland!Tu m'embarques?
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Salut Bona !
En fait je ne suis qu'un passager, le conducteur c'est Eric Faye. Mais je pense qu'il n'y verra aucun inconvénient. Sa plume est tellement généreuse (en surprises littéraires) !
Vous l'aurez compris : je suis un inconditionnel d'Eric Faye.
Écrit par : Roland Fuentès | samedi, 05 novembre 2005
Je dois affirmer non sans une certaine jubilation que la viande que je préfère a une autre carnation, une autre tendreté; me plonge dans une sorte de devenir-bègue,aphone,autre, magique. C'est celle qui nous fait parler une sorte de langue étrangère, puissante:
"...Je lui mordis la pitrine sur toute sa largeur;des charges éléctriques me parcouraient la langue, les gencives. Je me frottai le nez au gras de sa viande blanche, aspirai son odeur en tremblant. Je louchais de plaisir, le monde n'était plus qu'un tableau abstrait et vibrant, un entrechoquement de taches couleur chair, un puits de matière douillette où je m'enfonçais dans un élan joyeux de perdition..."
Une question de devenir, avais-je dit!une question de devenir!
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Je ne suis jamais allé à Prague mais il paraît qu'on y mange du Kafka partout ! Dans le genre raffiné, il y a un "Poulpe" qui s'appelle "J'irai faire Kafka sur vos tombes" ! illisible d'ailleurs, c'était bien le moins !
Écrit par : Ray | samedi, 05 novembre 2005
C'est noté Cher Roland, j'acheterai le bouquin, tu as l'air d'en parler si merveilleusement.
Ray, un vrai rayon de lumière!je riiis!
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
De qui l'extrait Bona ?
Écrit par : Ray | samedi, 05 novembre 2005
D'Alina dans le Boucher.
Sacré bonne femme, elle en jette,non?
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Lisez poitrine plus haut et non pitrine,sorry!
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Si je peux me permettre...
"Qui a écrit "J'IRA cracher sur vos tombes" ?
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Vernon SulliVian !"
J'ai pas pu m'empêcher... Sorry.
Écrit par : Rick Hunter | samedi, 05 novembre 2005
On croit voir (et dévorer) un tableau de Bacon !
Écrit par : Ray | samedi, 05 novembre 2005
Ravi si je peux donner envie de lire un écrivain que j'aime.
Tiens, encore un passage pour rebondir sur ce que dit Ray ("on y mange du Kafka partout") :
"L'aile du palas Kinsky où Hermann Kafka, le père, avait installé son magasin tient lieu aujourd'hui de boutique de souvenirs pour Kafkomaniaques. T-shirts à son effigie, posters, cartes postales et livres pour pèlerins en kafkologie : la liste est longue des objets kitsch en vente à cet endroit et dans l'étroit périmètre touristique de Prague. Rien n'arrête les mécanismess à l'oeuvre pour galvauder un mythe et le monétiser, comme si les interprétations à tout va des différentes écoles de pensée du XXe siècle n'avaient suffi à le dénaturer. Ainsi s'affiche un peu partout ce Che Guevara de la plume, à la biographie exemplaire, crucifié et recrucifié pour des lecteurs qu'il n'avait pas encore. Les intellectuels du monde entier, et la communauté internationale dans son ensemble, devraient décréter un moratoire, disons de dix ans, le temps que se décante un peu le mythe, que le sparasites retombent. Dix ans, au cours desquels il serait interdit non de lire, mais d'expliciter l'oeuvre de Kafka et d'évoquer la biographie de l'écrivain, de poursuivre l'éternelle construction de son mausolée baroque et tentaculaire. Les contrevenants s'exposeraient à des sanctions allant de mesures économiques (privations de bourses, de séjours en résidence) jusqu'à des bombardements aériens pour les récidivistes les plus opiniâtres. Il convienndrait de déployer en quelques points stratégiques de Prague, comme le nouveau cimetière juif où repose Kafka, une force de Casques bleus chargée de tenir à distance le pèlerin kafkologue, espèce dont je fus pour ne plus en être, ou en être moins."
Eric Faye : "Mes trains de nuit", éd. stock 2005
Écrit par : Roland Fuentès | samedi, 05 novembre 2005
ou du Lucian Freud, la même filiation.
Écrit par : Bona | samedi, 05 novembre 2005
Pour Alina, faire suivre : I'm sorry, je n'ai pas voulu écrire haine de la "littérature", mais de "l'écriture", bien sûr. Pour le reste, O.K.
Écrit par : J.-J. M. | samedi, 05 novembre 2005
N de l'écriture ?
j'ai beau chercher je ne vois pas ?
l'éNcriture alors ?
Écrit par : hozankebo | samedi, 05 novembre 2005
c'est fou ce que la haine peut faire écrire...
Moi je n'ai qu'une chose à dire: lisez aussi les trains de nuit d'Eric Faye.
Écrit par : Calou | dimanche, 06 novembre 2005
"c'est fou ce que la haine peut faire écrire..."
À quoi pensez-vous, Calou ?
Écrit par : Alina | dimanche, 06 novembre 2005
je ne sais ce qu'en pense le sieur Calou
m'est avis personnel que la haine est un mauvais moteur d'écriture (la rage , en revanche , oui)
Écrit par : hozan kebo | dimanche, 06 novembre 2005
Alina,
je pense que Ray a posté de nombreux articles, nouvelles, peintures et autres qui n'ont suscité aucune réaction des lecteurs du blog et qu'il suffit de parler d'écriture - haine ou revanche - pour que les échanges aient lieu.
Écrit par : Calou | dimanche, 06 novembre 2005
Ah !, je n'avais pas compris dans ce sens. C'est Kafka, aussi, qui a inspiré beaucoup de commentaires. Mais je ne crois pas qu'il s'agissait de revanche...?
Écrit par : Alina | dimanche, 06 novembre 2005
Je pense qu'elle existe cette idée de "revanche". MH par exemple est quelqu'un qui avait une revanche à prendre il me semble. La qualité de son oeuvre est là bien sûr, il est très intelligent c'est évident et surtout il a mis en place une stratégie très subtile pour en arriver là où il est aujourd'hui, et d'ailleurs c'est cette stratégie et les moyens qu'il s'est donnés qu'on lui reproche le plus souvent
Écrit par : Ray | dimanche, 06 novembre 2005
Oh, on a toujours quelque chose à reprocher à un écrivain qui se fait entendre...
Revanche, oui bien sûr, comme tout le monde, mais bof, ça fait sport. Vraiment je ne pense pas que cela puisse servir de ressort à l'écriture, ou bien alors seulement si on la compare à la revanche du boxeur, aller à la page blanche comme monter sur le ring, non pas pour prendre sa revanche sur un adversaire mais sur Quelque Chose.
Écrit par : Alina | dimanche, 06 novembre 2005
Je n'ai pas dit que c'était le ressort de l'écriture (puisque toute une gamme existe depuis celui ou celle qui écrit pour lui seul jusqu'à ceux - on en a tous connus - qui sont prêts à tout pour être reconnus comme écrivains), ça s'y ajoute, dans son cas il me semble, à la qualité de ce qu'il a à dire, s'ajoute ce désir de reconnaissance, c'est lié à l'histoire de chacun, mais chez MH ça me semble très fort, et comme il est très intelligent il y arrive !
Écrit par : Ray | dimanche, 06 novembre 2005
C'est sans doute vrai, Ray, je t'ai répondu trop vite ! C'est d'ailleurs ce qu'il laisse lui-même entendre à travers le portrait de son comique cynique. Finalement la revanche peut être un excellent moteur, oui, comme chez un boxeur, à condition de dépasser le calcul par l'art... Nul calcul ne saurait donner assez de forces pour encaisser les coups sur le ring.
Écrit par : Alina | dimanche, 06 novembre 2005
Oui la revanche c'est la recherche du pouvoir (qui a à voir avec l'histoire de la pomme croquée dont tu parles souvent), c'est effectivement le moteur de la plupart des actions humaines, l'art parfois s'y mêle mais s'y corrompt assez vite, l'art est plutôt à mon avis du côté de la recherche de l'unité, l'unité perdue justement depuis cette fameuse pomme (Cézanne au secours !)
Écrit par : Ray | dimanche, 06 novembre 2005
Le pouvoir social est bien dérisoire par rapport au sentiment de puissance dans l'unité donnée par l'art ou l'amour ou la "sagesse" - pourquoi Cézanne se serait-il encombré d'une autre quête ? Alors nous sommes d'accord Ray ! (c'est merveilleux, l'union dans le dialogue !)
Écrit par : Alina | lundi, 07 novembre 2005
Oui surtout que ce pouvoir-là est du côté de la mort et il finit toujours par dévorer ; Cézanne a passé son temps à fuir le pouvoir, il s'est même faché avec Zola qui l'avait ridiculisé dans "L'oeuvre", mais Cézanne traversera tout, lui...
Écrit par : Ray | lundi, 07 novembre 2005
... :-)
Écrit par : Alina | lundi, 07 novembre 2005
Bonjour Alina et Ray.
Revanche du boxeur?J'entends"Démence du boxeur!"
Suivez mon regard...!
Écrit par : Bona | lundi, 07 novembre 2005
Bonjour, oui le regard suit, les regards convergent (quel drôle de mot !) même
Écrit par : Ray | lundi, 07 novembre 2005
"Cézanne a passé son temps à fuir le pouvoir"
Par une forte puissance de démiurgie, il s'est réfugié dans ses pommes. Michaux fera de même dans un très beau poème"Magie": J'étais autrefois bien nerveux.me voici sur une nouvelle voie: Je mets une pomme sur ma table.Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité."
C'est ce que je compte faire là haut à l'atelier. Les miennes de pommes attendent...Elles risquent de sécher.
Bonne journée!
Écrit par : Bona | lundi, 07 novembre 2005
Bonjour Ray, Bona, difficile d'avoir le coeur dans la pomme par les temps qui courent. Merci de continuer à trouver des couleurs, dans vos ateliers.
Écrit par : Alina | lundi, 07 novembre 2005
Alina ne te laisse pas croquer le coeur !
Écrit par : Ray | lundi, 07 novembre 2005
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