samedi, 27 mars 2010
Quand le style français atteint cette pointe du concert
J’ai vu ce matin, dans des circonstances particulières, le portrait que Manet a fait de Berthe Morisot en 1872. Il a alors 40 ans, elle 31. C’est un tableau bouleversant de vivacité, de curiosité, d’amour. Une victoire de la Commune de Paris, en noir positif. Berthe est la belle-sœur de Manet, mais surtout sa belle sœur. Dans le bouquet de violettes du corsage s’affirme la victoire sur la mort (Morisot). Le sourire de la mort. Manet avait été très déprimé, l’année précédente, par les massacres de la Semaine sanglante.
Dans violette, il y a viol, voile, voilette, violet (« le rayon violet de ses yeux », l’« Oméga » de Rimbaud), bien que les yeux, ou plutôt le regard aigu, de Berthe Morisot soient de couleur noisette. Il y a aussi viole, l’instrument de musique. Dans un petit tableau magistral, Manet peint, côte à côte, un billet écrit, un bouquet de violettes et un éventail. Bleu, blanc, rouge. On lit Mlle Berthe, et sa signature. On peut difficilement faire plus explicite comme déclaration de délicatesse érotique violente.
Rimbaud : « l’élégance, la science, la violence ».
Quand le style français atteint cette pointe du concert (Watteau, Fragonard, Manet), c’est exécuté avec presque rien.
Voilà ce que Bataille appelle l’indifférence active de Manet. Un détachement vibrant.
Magie de ces deux vers de Rimbaud :
Mais l’araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Ce Manet est un des plus beaux portraits du monde. Il illumine ma journée.
Sollers, L’Année du Tigre
00:10 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : manet
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