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samedi, 01 novembre 2008

J'interromps si souvent une pensée par un morceau de paysage

web-lisboa.jpgJe reste toujours ébahi quand j'achève quelque chose. Ébahi et navré. Mon instinct de perfection devrait m'interdire d'achever ; il devrait même m'interdire de commencer. Mais voilà : je pèche par distraction, et j'agis. Et ce que j'obtiens est le résultat, en moi, non pas d'un acte de ma volonté, mais bien d'une défaillance de sa part. Je commence parce que je n'ai pas la force de penser ; je termine parce que je n'ai pas le courage de m'interrompre. Ce livre est celui de ma lâcheté.
La raison qui fait que j'interromps si souvent une pensée par un morceau de paysage, qui vient s'intégrer de quelque façon dans le schéma, réel ou supposé, de mes impressions, c'est que ce paysage est une porte par où je m'échappe et fuis la conscience de mon impuissance créatrice. J'éprouve le besoin soudain, au milieu de ces entretiens avec moi-même qui forment la trame de ce livre, de parler avec quelqu'un d'autre, et je m'adresse à la lumière flottant, comme en ce moment, sur les toits de la ville, mouillés sous cette clarté oblique ; à la douce agitation des arbres qui, haut perchés sur les pentes citadines, semblent tout proches cependant, et menacés de quelque muet écroulement ; aux affiches superposées que font les maisons escarpées, avec pour lettres les fenêtres où le soleil déjà mort pose une colle humide et dorée.

Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité

Commentaires

"Je reste toujours ébahi quand j'achève quelque chose. Ébahi et navré. Mon instinct de perfection devrait m'interdire d'achever ; il devrait même m'interdire de commencer. Mais voilà : je pèche par distraction, et j'agis. Et ce que j'obtiens est le résultat, en moi, non pas d'un acte de ma volonté, mais bien d'une défaillance de sa part. Je commence "

Putain d'egooooo de JE ! Trop fiction !

"...où le soleil déjà mort pose une colle humide et dorée"

Pour les ados !

Écrit par : Éric | samedi, 01 novembre 2008

C'est mal vu d'être personne !

Écrit par : Ray | samedi, 01 novembre 2008

C'est une position récurrente chez les écrivains, la désolation devant l'oeuvre. Kafka avait le même réflexe mais agissait peut-être différemment...

Écrit par : Léopold | samedi, 01 novembre 2008

Oui Pessoa dans un certain sens a été plus loin que les autres

Écrit par : Ray | samedi, 01 novembre 2008

Et c'est intéressant de voir comment ils s'identifient à une ville, Lisbonne, Prague...

Écrit par : Ray | samedi, 01 novembre 2008

Je ressens cela moi aussi lorsque je tente d'écrire quelque chose ou que je dessine...et lorsque je vais au bout, lorque j'y arrive, lorsque "Je" me laisse y aller; j'ai aussi cette même sensation d'étonnement devant l'acte achevé....Je ne connais pas Lisbonne, mais Fernando a très bien décrit mon intériorité lorsque je pèche par distraction.
Merci Raymond de me permettre là de l'exprimer.
Hélène O.

Écrit par : Hélène O. | samedi, 01 novembre 2008

Ce n'est qu'une évasion , belle échappée d'urgence d'être avec soi-même ,c'est aussi l'élan d'une vibration comme penser son intellect avec un corps si j'ose dire...

Écrit par : soulef | samedi, 01 novembre 2008

S'identifier à une ville surtout aussi grande avec ses "tentacules" a quelque chose de vraiment fascinant et révèle une exploration vraiment aboutie de l'être.

Écrit par : Léopold | dimanche, 02 novembre 2008

tant qu'il n'interrompt pas un paysage par une pensée...

Écrit par : thomas | dimanche, 02 novembre 2008

Les commentaires sont fermés.