jeudi, 22 mai 2008
C’est un peu plus tard
C’est un peu plus tard que Laure m’a fait rencontrer Gilles et Coline, ses amis les plus proches. Gilles était plus âgé que sa femme, elle-même notre aînée. Il avait alors près de soixante ans. Proche de la retraite, il s’était retiré, avec son piano et ses livres près des Cévennes, au Quintanel, un hameau auquel on accède par une route qui ne va pas plus loin. Là-bas, la terre est sauvage et dépouillée. Le hameau, en amphithéâtre, s’accote aux contreforts du Causse. Ethnologue et grand lecteur de Malraux, Gilles avait quitté l’Europe où il s’ennuyait, traversant l’Afrique de part en part avant de poser ses valises à Madagascar. Là il avait rencontré Coline, elle était devenue sa femme. Un de ses grands regrets, avoir raté Mai 68, dans la Grande Ile à ce moment-là. Un peu plus tard, ils étaient venus vivre en France tous les deux, à Paris d’abord puis dans le sud, où longtemps, il avait laissé flotter un drapeau noir face à sa maison. Son obstination à ne pas publier me fascinait. Il consacrait le plus clair de son temps à lire, écrire, et jouer du piano. Il avait toujours refusé de perdre son temps avec les conventions sociales. Devenu formateur, quelques heures par semaine, il avait ainsi assez d’argent pour vivre et faire ce qu’il voulait. Tout dans sa manière de vivre dénotait un refus du monde, de la vie des marionnettes. Il ne se souciait en rien de ses vêtements, de son image. J’étais jeune, il me déroutait souvent, bien sûr il en jouait, mais je sais maintenant qu’il avait raison ; écrire et peindre sont un même mouvement, une même passion, et la publication ou l’exposition ne sont pas si importants, comme on le croit alors. Parler avec lui c’était prendre conscience de mes limites et commencer d’y remédier. Sans doute, il n’existera bientôt plus de gens comme lui, avec une telle connaissance encyclopédique. Je lui montrais mes dessins, il s’en suivait de longues discussions. Souvent on avait le même humour. Nos histoires étaient si différentes que je m’étonnais de son amitié. Gilles et Coline n’avaient pas eu d’enfant, il aurait pu être mon père bien sûr, il le devenait d’une certaine façon, on en riait. Je me sentais plus libre avec lui qu’avec quiconque. J’imaginais mal qu’il ne laisse aucune trace, que tout ce savoir, son expérience si riche s’évanouissent. Je rêvais de découvrir un jour dans une malle un de ses manuscrits, de le publier et le faire connaître. J’ai même eu l’illusion, de courte durée, qu’il change d’avis à ce sujet. Il parlait souvent de Madagascar, ce pays magique dont il avait appris la langue et où il voulait être enterré. Avec lui je rêvais de Majunga, Farafangana, Sainte-Marie, Diego-Suarez, Fort-Dauphin, Fianarantsoa, Tulear, Foulpointe…
Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", roman en cours d'écriture
00:03 Publié dans En cours d'écriture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond alcovère, solaire, madagascar
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