jeudi, 19 avril 2007
Chroniques d'une élection (50)
Mercredi 18 avril 2007
Je voudrais vous parler de sentiments. Car lors d’une élection présidentielle, et pour celle-ci bien plus que pour toute autre, il s’agit aussi de sentiments. Il s’agit d’étonnement d’abord, d’espoir, de confiance, de méfiance, de craintes, et de courage aussi.
Il s’agit surtout, je crois, d’un sentiment de genèse. Je n’ai jamais cru que la Genèse fut terminée. Petite fille, je pensais même que, une fois grande personne, je serais fermement conviée à y participer. Et comme, à l’époque, aucun adulte autour de moi ne s’est cru autorisé à me détromper, je le pense toujours. Certains hommes, certaines femmes, savent mieux que d’autres nous rappeler à notre droit et à notre devoir de contribuer à cette genèse, à cette mise au monde d’un meilleur monde. D’un meilleur pays, d’une meilleure ville, d’un meilleur quartier, d’une meilleure rue, d’un meilleur immeuble. D’un meilleur théâtre. Mieux que d’autres, par leur détermination, leur ferveur, leur sincérité, leur intelligence, leur audace, ils nous incitent à entamer ou à reprendre avec joie un combat clair, juste, urgent, possible. Modeste pour les uns, gigantesque pour les autres, mais possible.
Pour libérer cet élan, il ne doit y avoir chez les prétendants aucune faconde, aucune forfanterie, aucune vulgarité de comportement, aucun mépris de l’adversaire. Aucune enflure pathologique de l’amour du moi. Aucune goinfrerie. Aucune clownerie de bas étage, aucun double langage. Aucune mauvaise foi. Non, il doit y avoir une terreur sacrée. Oui. Ils doivent être saisis d’une terreur sacrée devant le poids écrasant de la responsabilité qu’ils ambitionnent de porter, devant l’attente du peuple dont ils quémandent le suffrage avec tant d’insistance. Oui, il faut qu’ils tremblent de la terreur de nous décevoir. Or, pour cela, il leur faut de l’orgueil. Car, sans orgueil, pas de honte. Pas de vergogne. Que de fois, ces jours-ci, je me suis exclamée: «Oh! Il est vraiment sans vergogne, celui-là.»
Eh bien, moi, j’espère, je crois, je sais que Ségolène Royal a de la vergogne et donc qu’elle est capable de grande honte si, une fois élue, elle ne réussissait pas à nous entraîner tous et chacun, où que nous soyons, du plus important des ministères jusqu’à la plus humble classe de la plus petite école de France, dans cet herculéen travail qui nous attend et qui consistera à recoudre, à retisser même par endroits, et à poursuivre la formidable tapisserie qu’est la société française. Cet imparfait, cet inachevé mais si précieux ouvrage que, par pure, ou plutôt par impure stratégie de conquête du pouvoir, Nicolas Sarkozy et ses associés s’acharnent à déchirer.
Donc, contre la pauvreté, contre le communautarisme, pour la laïcité, pour la rénovation de nos institutions, contre l’échec scolaire, et donc pour la culture, pour l’éducation et donc pour la culture, pour les universités, pour la recherche, et donc pour la culture, pour la préservation de la seule planète vivante connue jusqu’à ce jour, pour une gestion plus vertueuse, plus humaine, donc plus efficace des entreprises, pour l’Europe, pour une solidarité vraie, qu’on pourrait enfin nommer fraternité et qui ne s’arrêterait pas à une misérable frontière mais s’étendrait bien au-delà de la mer, bref, pour une nouvelle pratique de la politique, c’est un immense chantier que cette femme, eh oui, cette femme, nous invite à mettre en oeuvre. Et moi, je vote pour ce chantier, donc je vote pour Ségolène Royal.
Son adversaire surexcité veut nous vendre, nous fourguer un hypermarché, un vrai Shopping Paradise — très bien situé, remarquez, juste en face de la caserne des CRS, elle-même mitoyenne du nouveau Casino des Jeux concédé à ses amis lorsqu’il était ministre — tandis qu’un troisième… Celui-là, à part être président, j’ai du mal à
comprendre ce qu’il veut pour nous. Une hibernation tranquille, peut-être ? Pendant ce temps, celui que bien imprudemment certains s’obstinent à classer quatrième alors qu’il y a cinq ans… vous vous souvenez ?
Ô! Nos visages blêmes, nos mains sur nos bouches tremblantes et nos yeux pleins de larmes. Ô ce jour-là nos visages… les avons-nous déjà oubliés ? L’horreur de ce jour-là, l’avons-nous déjà oubliée? La honte de ce jour-là? Voulez-vous les revoir, ces visages? Moi, non. Voilà pourquoi, même si je respecte leurs convictions, et en partage
plus d’une, je ne veux pas que ceux qui pratiquent l’opposition radicale, jusqu’à en prôner la professionnalisation durable, nous entraînent dans leur noble impuissance.
Voilà pourquoi je pense que nous, le soir, dans nos dîners, devons cesser nos tergiversations de précieux ridicules. C’est du luxe. Un luxe insolent aujourd’hui. Beaucoup dans ce pays ne peuvent se le payer. Ils souffrent. Ils sont mal-logés, ou pas logés. Ils mangent mal. Ils sont mal soignés, ne connaissent pas leurs droits,donc n’ont droit à rien. Ni lunettes, ni dents, ni vacances, ni outils de culture. Leurs enfants n’héritent que de leur seule fragilité. Ils souffrent. Ils sont humiliés. Ils ne veulent pas, ils ne peuvent pas, eux, passer un tour. Encore un tour. Jamais leur tour.
Alors, dépêchons-nous. Il y a du monde qui attend. Allons-y, bon sang ! Il n’y a plus une minute à perdre. Cette femme, eh oui, cette femme porte nos couleurs, elle les porte vaillamment, courageusement, noblement. Et quand je dis couleurs, je ne parle pas des seules trois couleurs de notre drapeau. Je parle des couleurs de la France , celle que j’aime, celle de la citoyenneté vigilante, de la compassion pour les faibles, de la sévérité pour les puissants, de son amour intelligent de la jeunesse, de son hospitalité respectueuse et exigeante… Je parle des couleurs de l’Europe à qui nous manquons et qui nous manque.
Voilà pourquoi je vote pour les travaux d’Hercule, je vote pour Ségolène Royal,et je signe son pacte.
Ariane Mnouchkine
09:34 Publié dans Présidentielles 2007 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, Présidentielles2007, Ségolène Royal
Commentaires
Très beau texte. Amitiés.
Écrit par : ariaga | jeudi, 19 avril 2007
J'avais beaucoup aimé son "Molière".
La sénilité est décidément une chose terrible.
Écrit par : C.C. | jeudi, 19 avril 2007
Et Le Théâtre du Soleil ! Puisse chacun séniliser de la sorte !
Écrit par : Ray | jeudi, 19 avril 2007
le texte de Ariane Mnouchkine est extraordinaire et je m'y reconnait entièrement,
ce qu'elle dit sur la genèse , oui je suis artiste pour cela et c'est pour cela aussi qu'un monde qui se fossilise ou qui se tyranosaurise est un monde qui ne peut susciter que mon incompréhension et mon désaccord profond , comme un enfant je fait la grimace ,
Ariane Mnouchkine a raison mais son optimisme me fait défaut , le Pouvoir aujourd'hui dans un monde qui se pose de plus en plus en plus en système et qui se comporte de plus en plus comme un organe qui ignore la reconnaissance de la valeur de la personne humaine telle que les lumières ou d'autres sociétés ont pu comprendre l'homme , ce monde là est il encore ouvert à cette genèse , ne sommes nous pas appellés à fonctionner plutot qu'à être , penser etc ... or si cela est vrai et je le crois et c'est pour cela qu'il est de plus en plus impossible de se reconnaitre partie prenante , ne devons nous pas passer par une phase de reconquète d'une vie qui n'est plus la notre , quelque part , ou de façon absurde , ( tous nos soucis sur les thèmes comme l'environement et de nombreux aspect plus philosophiques ne le montrent t'ils pas ?) Mme Royal , pas plus que les autres est elle capable d'appréhender cela et de nous permettre d'être de nouveau acteurs de notre vie ? au contraire s'impliquer politiquement n'est ce pas entrer en résistance d'une certaine façon , en montrant l'exemple tel que je l'ai toujours pensé , c'est à dire en commencant à faire exister cette autre réalité que je suis et que je ne peux me résoudre à ne plus être , et ceci même si c'est de plus en plus difficile de l'être , seul, presque , voir même absurde , bien sûr;
Arianne Mnouchkine témoigne d'une belle confiance , elle me donne envie de la suivre les yeux grands ouverts et voter S R au risque de se retrouver en cas de trahison définitivement sur un tonneau ou une montagne
mais quel beau texte !
Écrit par : aloredelam | vendredi, 20 avril 2007
Salut Lambert et merci pour ta contribution, qui me paraît juste ! Pour ma part, ce n'est qu'une intuition, et ça n'a donc pas grande valeur, mais il me semble que S R est plus que d'autres capable de tenir ses engagements et de provoquer et d'accompagner des changements. A titre de comparaison, en 1981, je n'étais pas très enthousiaste et assez pessimiste sur l'issue... De toutes façons, la seule issue possible de la crise actuelle à mon avis passe par les consciences et une implication dans les processus en cours.
Écrit par : Ray | vendredi, 20 avril 2007
je suis tout à fait d'accord , moi aussi en 81 ...( smile)
Écrit par : aloredelam | vendredi, 20 avril 2007
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