vendredi, 29 septembre 2006
Pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser
Quand le soir approchait je descendais des cimes de l'île et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac sur la grève dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et l'agitation de l'eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l'instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m'offrait l'image : mais bientôt ces impressions légères s'effaçaient dans l'uniformité du mouvement continu qui me berçait, et qui sans aucun concours actif de mon âme ne laissait pas de m'attacher au point qu'appelé par l'heure et par le signal convenu je ne pouvais m'arracher de là sans effort.
J.J. Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, cinquième promenade
Frédérique Azaïs, petits formats, 2006
04:57 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, Rousseau, Rêveries
Commentaires
La rêverie, l'intime ..oui... que trop de prose bousculerait ..
Écrit par : aa | vendredi, 29 septembre 2006
C'est le grand style !
Écrit par : Ray | vendredi, 29 septembre 2006
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