Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 02 mai 2020

Le Chancellor (Jules Verne)

jules verne,le chancellorProdigieux ; Verne n’a visité pratiquement aucun des lieux qu’il décrit, utilisant atlas, récits de voyage et manuels de géographie. Ensuite, le succès venant, il a pu voyager, mais dès les premiers Voyages Extraordinaires, on y est, les descriptions sont parfaites, le style rythmé, précis, varié, vif, et le vocabulaire d'une extrême richesse. Son œuvre, pour qui aime les mots, est un fabuleux dictionnaire. Il a commencé par écrire des pièces de théâtre, on le sent dans sa façon de construire ses intrigues, développer sa narration, il ménage toujours effets de surprise et coups de théâtre. Verne est un enchanteur. Il a créé des personnages hors du commun, inoubliables, comme Phileas Fogg dans le fabuleux Tour du monde en 80 jours – dont J.M.G. Le Clézio dit « qu’il part parce qu’il a fait un pari contre lui-même »  – des aventuriers fous mais si puissants, si justes, si vrais finalement comme le capitaine Nemo et sa fameuse devise : Mobilis in mobile (petite erreur rectifiée ensuite, il fallait écrire Mobilis in mobili, mais la première formule, plus musicale, est restée) qui est la base de toute stratégie. Outre ces archétypes, on trouve dans son œuvre des pépites méconnues, comme Le Chancellor. Atypique dans son œuvre, très noir. Il se présente comme le journal de bord d’un passager ordinaire pour une traversée banale. Au départ d’un cargo qui transporte des passagers entre l’Amérique et la France. Mais bien vite, c’est le cauchemar. Les catastrophes s’accumulent, un groupe de survivants se retrouve sur un radeau (réminiscence sans doute de l’épisode du Radeau de la Méduse qui marqua les esprits en 1816, à cause notamment du tableau de Géricault). Toute la fin du roman repose sur la question : peut-on, doit-on manger de la chair humaine pour survivre ? Verne l’aborde de front, sans sentimentalisme. Les personnages sonnent juste. On est sur ce radeau. Le suspense est bien mené et si l’on retrouve certains des défauts de Verne (personnages parfois un peu sommaires, taillés à la hache), Le Chancellor montre la diversité d’inspiration d’une œuvre dont on n’a pas sans doute encore découvert tous les aspects. Son point faible, c’est l’amour – là il est très XIXe –  ses personnages manquent de chair.jules verne,le chancellor Son humour le porte parfois au sublime, comme cette réflexion de Pencroff dans l’île mystérieuse : « Pourquoi serions-nous malades, puisqu’il n’y a pas de médecins dans l’île ? »  Certes, l’analyse de Barthes dans Mythologies est judicieuse : « Verne appartient à la lignée progressiste de la bourgeoisie : son œuvre affiche que rien ne peut échapper à l’homme, que le monde, même le plus lointain, est comme un objet dans sa main (…) Le geste profond de Jules Verne, c’est donc, incontestablement, l’appropriation. L’image du bateau, si importante dans la mythologie de Verne, ne le contredit nullement, bien au contraire : le bateau peut bien être symbole du départ ; il est, plus profondément, chiffre de la clôture. Le goût du navire est toujours joie de s’enfermer parfaitement, de tenir sous sa main le plus grand nombre possible d’objets. De disposer d’un espace absolument fini : aimer les navires, c’est d’abord aimer une maison superlative parce que close sans rémission, et nullement les grands départs vagues ; le navire est un fait d’habitat avant d’être un moyen de transport. Or tous les bateaux de Jules Verne sont bien des coins du feu parfaits, et l’énormité de leur périple ajoute encore au bonheur de leur clôture, à la perfection de leur humanité intérieure. Le Nautilus est à cet égard la caverne adorable : la jouissance de l’enfermement atteint son paroxysme lorsque, au sein de cette intériorité sans fissure, il est possible de voir par une grande vitre le vague extérieur des eaux, et de définir ainsi dans un même geste l’intérieur par son contraire (…) L’imagination du voyage correspond chez Verne à une exploration de la clôture, et l’accord de Verne et de l’enfance ne vient pas d’une mystique banale de l’aventure, mais au contraire d’un bonheur commun du fini, que l’on retrouve dans la passion enfantine des cabanes et des tentes : s’enclore et s’installer, tel est le rêve existentiel de l’enfance et de Verne. L’archétype de ce rêve est ce roman presque parfait : L’Île mystérieuse, où l’homme-enfant réinvente le monde, l’emplit, l’enclot, s’y enferme, et couronne cet effort encyclopédique par la posture bourgeoise de l’appropriation : pantoufles, pipe et coin du feu, pendant que dehors la tempête, c’est-à-dire l’infini, fait rage inutilement. » Mais on aurait tort de le résumer à cette analyse. jules verne,le chancellorPour J.M.G. Le Clézio, « Ses romans sont des livres de héros plus que d’aventures technique. » « Et en plus, ce qui séduit les enfants qui ne s’intéressent pas au style, mais qui cherchent une pâture pour leur imagination, c’est cette véracité de ton qui vient de ce que Jules Verne vivait ses aventures en les écrivant. » Et pourtant, précise-t-il plus loin : « Je me souviens qu’enfant je reconnaissais les phrases de Jules Verne. C’est là que j’ai senti pour la première fois ce qu’est le style. » Et : « Mais le génie de Verne c’est de donner à la fois une description du monde étonnante et une réduction des grands drames de l’humanité en symboles tels qu’ils peuvent déjà être sentis par un enfant. » Michel Foucault, dans un numéro de l’Arc (1966) pointe un aspect très particulier la construction de ses récits : « Les récits de Jules Verne sont merveilleusement pleins de ces discontinuités dans le mode de la fiction. Sans cesse le rapport établi entre narrateur, discours et fable se dénoue et se reconstitue selon un nouveau dessin. Le texte qui raconte, à chaque instant se rompt ; il change de signe, s’inverse, prend distance, vient d’ailleurs comme d’une autre voix. Des parleurs, surgis on ne sait d’où, s’introduisent, font taire ceux qui le précédaient, tiennent un instant leur discours propre, et puis soudain, cèdent la parole à un autre de ces visages anonymes, de ces silhouettes grises. » On pourrait multiplier les exemples : « Ce soir, un étranger qui se fût trouvé à Baltimore n’eût pas obtenu, même à prix d’or de pénétrer dans la grande salle. » Ou : « On s’étonnera peut-être de voir Barbicane et ses compagnons si peu soucieux de l’avenir… » Exemple de son style sec et précis, sans sentimentalisme : « Je vois encore la pose du capitaine Nemo. Replié sur lui-même, il attendait avec un admirable sang-froid le formidable squale, et lorsque celui-ci se précipita sur lui, le capitaine, se jetant de côté avec une prestesse prodigieuse, évita le choc et lui enfonça son poignard dans le ventre. Mais tout n’était pas dit. Un combat terrible s’engagea. » Selon Claude Santelli, il est le plus grand et le seul romancier épique français.

Raymond Alcovère

mercredi, 25 juillet 2012

Pourquoi ?

ile-mysterieuse-navire-tempete-sombre.jpg"Pourquoi serions-nous malades, puisqu'il n'y a pas de médecins dans l'île ?" répondit très sérieusement Pencroff.

Jules Verne, L'ïle mystérieuse

mercredi, 28 avril 2010

Mythe au logis

204.jpg« L’imagination du voyage correspond chez Verne à une exploration de la clôture, et l’accord de Verne et de l’enfance ne vient pas d’une mystique banale de l’aventure, mais au contraire d’un bonheur commun du fini, que l’on retrouve dans la passion enfantine des cabanes et des tentes : s’enclore et s’installer, tel est le rêve existentiel de l’enfance et de Verne. L’archétype de ce rêve est ce roman presque parfait : L’île mystérieuse, où l’homme-enfant réinvente le monde, l’emplit, l’enclot, s’y enferme, et couronne cet effort encyclopédique par la posture bourgeoise de l’appropriation : pantoufles, pipe et coin du feu, pendant que dehors la tempête, c’est-à-dire l’infini, fait rage inutilement. (…) Le geste profond de Jules Verne, c’est donc, incontestablement, l’appropriation. L’image du bateau, si importante dans la mythologie de Verne, n’y contredit nullement, bien au contraire : le bateau peut bien être symbole de départ ; il est, plus profondément, chiffre de la clôture. Le goût du navire est toujours joie de s’enfermer parfaitement, de tenir sous sa main le plus grand nombre possible d’objets. De disposer d’un espace absolument fini : aimer les navires, c’est d’abord aimer une maison superlative, parce que close sans rémission, et nullement les grands départs vagues ; le navire est un fait d’habitat avant d’être un moyen de transport. Or tous les bateaux de Jules Verne sont bien des « coins du feu » parfaits, et l’énormité de leur périple ajoute encore au bonheur de leur clôture, à la perfection de leur humanité intérieure. Le Nautilus est à cet égard la caverne adorable : la jouissance de l’enfermement atteint son paroxysme lorsque, au sein de cette intériorité sans fissure, il est possible de voir par une grande vitre le  vague extérieur des eaux, et de définir ainsi dans un même geste l’intérieur par son contraire ».

Roland Barthes, Mythologies, 1957

mardi, 12 août 2008

Jules Verne, vu par Roland Barthes

003.jpg« L’imagination du voyage correspond chez Verne à une exploration de la clôture, et l’accord de Verne et de l’enfance ne vient pas d’une mystique banale de l’aventure, mais au contraire d’un bonheur commun du fini, que l’on retrouve dans la passion enfantine des cabanes et des tentes : s’enclore et s’installer, tel est le rêve existentiel de l’enfance et de Verne. L’archétype de ce rêve est ce roman presque parfait : L’île mystérieuse, où l’homme-enfant réinvente le monde, l’emplit, l’enclot, s’y enferme, et couronne cet effort encyclopédique par la posture bourgeoise de l’appropriation : pantoufles, pipe et coin du feu, pendant que dehors la tempête, c’est-à-dire l’infini, fait rage inutilement. (…) Le geste profond de Jules Verne, c’est donc, incontestablement, l’appropriation. L’image du bateau, si importante dans la mythologie de Verne, n’y contredit nullement, bien au contraire : le bateau peut bien être symbole de départ ; il est, plus profondément, chiffre de la clôture. Le goût du navire est toujours joie de s’enfermer parfaitement, de tenir sous sa main le plus grand nombre possible d’objets. De disposer d’un espace absolument fini : aimer les navires, c’est d’abord aimer une maison superlative, parce que close sans rémission, et nullement les grands départs vagues ; le navire est un fait d’habitat avant d’être un moyen de transport. Or tous les bateaux de Jules Verne sont bien des « coins du feu » parfaits, et l’énormité de leur périple ajoute encore au bonheur de leur clôture, à la perfection de leur humanité intérieure. 029.jpgLe Nautilus est à cet égard la caverne adorable : la jouissance de l’enfermement atteint son paroxysme lorsque, au sein de cette intériorité sans fissure, il est possible de voir par une grande vitre le  vague extérieur des eaux, et de définir ainsi dans un même geste l’intérieur par son contraire ».

Roland Barthes, Mythologies, 1957

Pour voir les illustrations originales, c'est ici

mercredi, 26 décembre 2007

Le Phare du bout du monde

8b166bf073c442867c379c923f8762ac.gifLe lendemain, au lever du soleil, la tempête se déchaînait encore avec autant de fureur. La mer apparaissait toute blanche jusqu'au plus lointain horizon. A l'extrémité du cap, les lames écumaient à quinze et vingt pieds de hauteur, et leurs embruns, éparpillés par le vent, volaient au-dessus de la falaise. La marée descendante et les rafales, se rencontrant à l'ouvert de la baie d'Elgor, s'y heurtaient avec une extraordinaire violence. Aucun bateau n'aurait pu entrer, aucun bateau n'aurait pu sortir. A l'aspect du ciel toujours aussi menaçant, il paraissait probable que la tempête durerait quelques jours, et cela ne saurait étonner dans ces parages magellaniques.

En 1966, le Livre de poche a entrepris la publication en poche de l'oeuvre de Jules Verne, avec cette série de couvertures reprenant les illustrations originales sur fond de photos en couleurs. J'en faisais la collection dans ma jeunesse ; il m'en manque quelques uns mais depuis des années chez les bouquinistes on trouve toujours les mêmes, les romans principaux.  Surprise l'autre jour, chez Joseph Gibert, je trouvai celui-ci (pour 0,20 €) que je n'avais jamais lu et en bon état. Ce n'est pas un de meilleurs certes, paru en 1901 ; roman d'aventures, sans fantastique, le fantastique résidant en fait dans le lieu de l'action, tout près du cap Horn, au bout du monde, à déguster un soir d'hiver, quand le vent souffle dehors...