mardi, 28 avril 2020
Les Fleurs du mal (Charles Baudelaire)
Travailleur acharné, ce qu’on oublie souvent, il a laissé dix volumes, bien que mort à quarante-sept ans, avec bien peu de déchets. « Ce qui est inouï en Baudelaire, écrit Claude Roy dans sa préface aux Œuvres complètes, c’est la superposition et la fusion méditée d’harmoniques jamais assemblés avant lui ». En effet, Baudelaire, à partir d’une première version du poème, assez classique, parnassienne, enrichit au fur et à mesure son texte par l’ajout de nouvelles images, plus riches, plus fouillées, plus étranges, et ce travail par couches successives, – comme un sculpteur qui peu à peu met à jour son œuvre à partir d’une masse informe – a accouché des chefs-d’œuvre qu’on connaît, intemporels. Il est la volupté même, lui qui a écrit : « La Révolution a été faite par des voluptueux. » « Le parti le plus difficile ou le plus gai est toujours celui que je prends ; et je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu’elle m’exerce ou m’amuse. » Le vrai paradis artificiel de Baudelaire, c’est la peinture » écrit encore Claude Roy. Son jugement est infaillible, il reconnaîtra, souvent avant tout le monde, les grands écrivains, peintres et musiciens de son temps. En réalité, tout l’intéresse, le nourrit. Proust a dit de lui : « Comme c’est plus audacieux que tout ce qu’on trouve audacieux ». Il est le poète des Correspondances qu’il n’a cessés de chercher « entre la nature et l’esprit, entre l’espace visuel et l’espace du dedans, entre les images et les sons, entre la peinture et la poésie ». D’un foudroyant pessimisme aussi : « L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu ». Mais lucide aussi : dans l’édition originale des Fleurs du mal (1857), on trouve cette exergue de Théodore Agrippa d’Aubigné : « Mais le vice n’a point pour mère la science. Et la vertu n’est pas fille de l’ignorance. » Et pourtant, le jugement sur Les fleurs du mal n’a été définitivement cassé qu’en 1949. Son œuvre est parsemée d’éclairs : « L’aube grelottante en robe rose et verte. » « Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large, / Chargé de toile et va roulant / Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. » « Mais le vert paradis des amours enfantines. » « Valse mélancolique et langoureux vertige. » « J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre. » « Ta tête, ton geste, ton air / Sont beaux comme un beau paysage / Le rire joue en ton visage / Comme un vent frais dans un ciel clair. » « Ô mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre ! » Et quelle trouvaille extraordinaire que : « Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur, d’aller là-bas vivre ensemble… » Quant aux Bijoux, il faudrait le citer en entier… Même s’il a écrit « Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage, l’art est long et le temps est court. » il nous laisse en héritage tant de chefs-d’œuvre et son étonnante lucidité : « En somme, devant l’histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s’emparant du télégraphe et de l’Imprimerie nationale, gouverner une grande nation. Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s’accomplir sans la permission du peuple, et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu. » Ou encore : « Être un grand homme et un saint pour soi-même, voilà l’unique chose importante. » Il projetait d’ajouter à la liste des droits de l’homme, celui de se contredire et celui de s’en aller.
Raymond Alcovère
10:19 Publié dans Grands textes, Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : baudelaire, les fleurs du mal
Commentaires
Vous sauvez l'honneur de la littérature... qui, malheureusement, ne sera pas sauvé, à moins que vous necjuriez le contraire...
Écrit par : TIBI | jeudi, 04 juin 2020
Je le jure !
Écrit par : Ray | vendredi, 05 juin 2020
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