mercredi, 09 juin 2010
Un point c'est tout ?
Si vous ne l'avez pas encore lu, heureux que vous êtes de peut-être découvrir un des joyaux de la prose française : "Point de lendemain" de Vivant Denon, dont voici le fameux début :
« J’aimais éperdument la comtesse de... ; j’avais vingt ans, et j’étais ingénu ; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J’étais ingénu, je la regrettai ; j’avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j’avais vingt ans, que j’étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l’amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes.
Philippe Sollers, ici, joue à quelques variations sur le point :
"Point, en français, a été une négation courante, mais c’est aussi, et surtout, une affirmation. Je mets un point final à cette affaire. J’ai écrit ce que j’ai écrit, point. Savoir ponctuer montre qu’on sait exactement ce qu’on exprime, ni plus ni moins. Il a sans doute fallu l’expansion des mathématiques pour que le premier sens de point, négatif (« je ne vous entends point »), vieillisse et soit abandonné. Cependant, la langue est tournée de telle façon qu’elle se rappelle à nous de manière toujours nouvelle. Un point de lendemain peut être ainsi considéré comme la plus petite unité de lendemain possible, surtout si nous nous souvenons du verbe poindre qui éclaire l’expression : point du jour. Par ailleurs (un point c’est tout), il est à chaque instant possible de faire le point. On arrive à point nommé à condition d’être parti à point. Le point est un endroit fixe, déterminé : point de rencontre. C’est aussi une piqûre que l’on fait avec une aiguille enfilée de fil, de soie ou de laine.
C’est une question particulière : « N’insistez pas sur ce point. » Dans un jeu, c’est le nombre que l’on marque à chaque coup. En musique, point important, le point est le signe placé à droite d’une note ou d’un silence pour augmenter de moitié la durée de cette note ou de ce silence.
En mathématiques, le point est une figure géométrique sans dimension. Je peux le définir comme l’intersection de deux lignes. De là, les plans, les volumes. Je peux dire « en tout point », pour entièrement ; « au dernier point », pour extrêmement ; « de point en point », pour exactement ; « à point », pour à propos ; « au point », pour prêt à fonctionner.
Il m’arrive d’être mal en point, mais je marque un point, je prends un point d’appui, j’ai un point d’attache. Je connais les points cardinaux. Je m’attends, bien entendu, à rencontrer des points chauds, un point de côté, un point faible, un point sensible, mais pas forcément un point mort. Il vaut mieux que mes points de contact soient changeants. Je suis sur le point de comprendre : ce sera notre point de chute, notre point d’accord ou de désaccord, notre point d’interrogation, de suspension ou d’exclamation, bref notre point d’orgue."
Extrait de Philippe Sollers, Le Cavalier du Louvre, Plon, 1995, p. 81-86.
Rappelons que Vivant Denon fut le créateur du Musée du Louvre (où figure toujours l'aile Denon), il créa la mode de l'Egyptologie en accompagnant Napoléon en Egypte (son récit de voyage eut un succès considérable à l'époque), qu'il fut un fameux graveur, agent secret, et bien d'autres choses encore...
12:30 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vivant denon, point de lendemain
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