samedi, 09 mai 2009
J’ai connu Manuel Portales
J’ai connu Manuel Portales. C’est le fait du hasard. Enfin, je ne suis plus sûr de rien. J’invoque le hasard par lâcheté intellectuelle, peut-être.
Certaines nuits, tiré de mon lit par l’idée qu’une puissance se jouerait de nous, je me précipite dans la salle de bains et, agrippé au lavabo, je plante mon regard dans la glace mouchetée de dentifrice. J’interroge mon visage, au cœur, pleines pupilles. Je scrute mon front, mes joues, mes paupières et sous le néon hollywoodien, me frayant un chemin spirituel entre la mousse hypoallergénique et la brosse échevelée, tel un idiot épris de métaphysique, je suis à l’affût. Rien jamais ne se passe, bien sûr, pas le moindre frémissement hormis l’agacement ironique des commissures, pas le plus petit signe d’un au-delà circulant dans mes rides, à moins de considérer que cette esquisse au coin des lèvres… Balivernes ! N’empêche. Une fois, perdu dans cette contemplation stupide, hagard à force de benzodiazépine, j’ai basculé de la lisière des cils au désert de dunes frangé de touffes sèches au nord du Sahara et, manque de sommeil ou larmoiement blafard, je me suis retrouvé à la sortie d’El Golea une fin d’après-midi. Soleil déclinant, j’ai vingt-cinq ans face à l’horizon de sable aux allures de mer rouge, ou mieux, m’étais-je dit appuyé sur l’aile cabossée de ma 2CV, d’océan asséché, me remémorant le fond sablonneux d’une plage de mon enfance tangéroise, quand par le hublot du masque, dans le crachottement salé du tuba, j’observais la tôle ondulée où venaient fondre de pâles rayons habités d’algues et de plancton. Je n’ai opposé aucune résistance au phénomène, trop heureux de pouvoir justifier ma lubie. Par jeu plus que par conviction, je m’engouffrai dans l’hallucination pour nourrir des idées du genre “tout est dans tout”, “le temps ne s’écoule pas sinon il s’écoulerait en lui-même”, “l’éternité est l’implosion du temps”, et autres absurdités qu’aussitôt remis sur rails je balayai d’un café serré. Profitant tout de même de l’entre-deux qui blanchit le ciel, je revisitai ce coin paisible de l’oasis d’El Golea, œil creusé en bordure de l’erg, au moment où, de la palmeraie, le parfum des tomates et des orangers fait de l’espace un écrin de roseaux. De là à admettre que notre vie ne tiendrait qu’à un fil agité par je ne sais quoi ou qui, Destin, Dieu ou Génie, toutes ces sottises de bibliothèque médiévale et de chapelle bourdonnante, il y a loin. Pourtant, qui a connu Manuel Portales comprendra mes doutes et mon inquiétude. Je rapporte ce qui suit pour les autres, tout autant que pour moi, je l’avoue.
À l’hôpital, nous étions voisins de chambre. Moi, pour une hernie ombilicale. Lui, je n’ai jamais su avec certitude. Il attendait des résultats d’examens qui, à ma connaissance, ne lui ont jamais été communiqués. J’ai alors su ce qu’attendre veut dire. Mieux vaut se pendre ou partir en courant.
Jean-Jacques Marimbert
Photo de Nicolas Bouvier
05:33 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jean-jacques marimbert
Commentaires
Je ne connais pas Jean-Jacques Marimbert, mais ce texte est absolument splendide... à la fois fluide et serré, des métaphores poétiques et actives, des petits bouts d'oxymore : "je balayais d'un café serré" ... en résumé une écriture qui me séduit !!! Quel livre faut-il lire ce cet auteur ?
Écrit par : jacki marechal | dimanche, 10 mai 2009
Je dirais Raphaëlle ; en cliquant ici, tu auras toutes les notes et des inédits sur lui !
http://raymondalcovere.hautetfort.com/archives/tag/Jean-Jacques%20Marimbert.html
Écrit par : Ray | dimanche, 10 mai 2009
Merveilleux Bouvier, oui, qui lors de son voyage avec Vernet en Europe de l'est, prend des photos et écrit, écrit. Il en tirera "L'Usage du monde", quel titre, et quel livre ! En relire une page suffit à m'enchanter.
Écrit par : J.-J. M. | dimanche, 10 mai 2009
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