dimanche, 26 octobre 2008
Vous êtes à la campagne, il pleut,
Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? ce livre.
Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas.
Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dévident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tiré par le livre. Il ne vous lâchera qu’après avoir donné une façon à votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout à fait transformés.
Victor Hugo, "Du Génie", Proses philosophiques de 1860-65
19:59 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, victor hugo, livre, lecture
Commentaires
Eh non, amigo, ne t'y fie pas; c'est plutôt un Camerounais, lui... Moi, c'est un peu plus bas (Congo)
C'est un brillant bassiste, et quelle voix..!
Écrit par : Bona | dimanche, 26 octobre 2008
Oui, superbe !
Écrit par : Ray | lundi, 27 octobre 2008
Le livre vivant, Kl Loth a fait un article sur les livres qui copulent
http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2008/10/19/une-chaste-bibliotheque.html#comments
Hugo utilise une focalisation que je trouve intéressante et qui, sauf erreur de ma part, n'est pas récurrente dans son oeuvre.
Écrit par : Léopold | lundi, 27 octobre 2008
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