samedi, 25 octobre 2008
Mon île
J’aime la regarder par la fenêtre
Quand je suis seule
Sans bruit
Je crains toujours qu’ils puissent me surprendre du dehors Quand ils retournent à leur maison
Et qu’ils découvrent que je brûle pour elle
Ce sont des craintes inutiles, je ne veux pas, mais qu'y faire ?
Elles me dominent à jeun
C’est la vérité
Comme vous sans doute à cet instant
En train de me lire et de sourire sans lever les yeux vers la mer
Vous n’aimez pas les exilés. Non
Ils n’ont pas de patrie et traînent des maladies
J’entends vos murmures croisés, votre compassion provisoire
Mais vous la verrez forcement à un moment ou à un autre
Elle n’est pas pour moi seule, mais pour tous ceux qui attendent comme moi aux périphéries d’autres villes
Si je l’étouffe
Elle renaîtra au milieu des vagues
Et je regretterai longtemps mon geste
Mais je n’en ai pas l’intention tant qu’elle ne m’a pas renié
Je n’ai lieu qu’en elle, je l’avoue
Chaque matin, me lever tôt et être la première à la regarder
A six heures et demie, à la fin de l’été il n’y a personne
La rue est humide de l’odeur de la nuit
Tournée vers elle, que mes yeux puissent la toucher
Je prie que la mer reste calme dans l’archipel
J’attends à l’orée du doute
Puis elle se détache et flotte sur l’eau comme une tache.
Parfois à un orage passager
Elle se plie comme une ombre sous les rafales du vent presque noyé
Saisie de panique je me dis que je devrais la chercher
J’implore plus d'une fois le vent de ne pas trop appuyer son souffle sur les vagues, tendant le cou pour essayer de l’apercevoir entièrement
Et j’ai mal
Plus je m’approche plus je la vois entr’ouverte, offerte par la mer
Je me se réjouis de l’apercevoir de ma fenêtre, de me jeter dans sa nudité
Comme une prairie claire posée sur l’eau
Elle est superbe à cette distance
Elle vient parfois jusqu'à moi, comme un insecte
Et quand la mer infinie l’avale en chantant, elle s'esquive.
Je hurle : reviens ! Puis je descends le store, ferme les yeux
Et refoule un long soupir
Je me dis: « Malheur au père qui a exilé tout un peuple !
Malheur à l’Amérique, cause de ma perte ! »
Et le passé, par bribes floues se réveille
Tel un serpent qui sort de la paille
Il ramène les choses sans les avoir cherchées
A cet instant
La mer pose sa main sur mon épaule
Elle me prépare
Que je sois prête
Lorsqu’elle va réapparaître sur ma rétine
Je ne sais pas si je suis en train de perdre mon temps ou d’y vivre de quelque façon
Je n’ai pas la réponse
Mais je dois me raisonner, ne pas me laisser aller
Est-ce une hallucination qui me nargue depuis l’enfance
Son appel persistant surplombe la mer et vient en moi
A cette force mystérieuse qui nous entraîne l’un vers l’autre
Je n’ai pas la réponse
Je dois vendre la maison pour acheter un bateau et embarquer vers l’île
Mon île
Sandy Bel, poète amérindienne
Photo de Jacques-Henri Lartigue
00:10 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : poésie, sandy bel, poésie amérindienne
Commentaires
J'aime particulièrement cet expressionisme abstrait, je le trouve ici absolument superbe. Grâce à vous je croise le texte de cette artiste... Merci.
Écrit par : Jacki Maréchal | samedi, 25 octobre 2008
Merci pour ce partage ci...
Un écho haut en couleurs et en paysages, que la voix de cette femme chantant son île.
J'y reconnais mon amour, mon exil et mon attente.
Mon île.
Merci.
Écrit par : S. | samedi, 25 octobre 2008
dans les vers ci apres
Elles me dominent à jeu
C’est la vérité
il faut lire: à jeun
bisou
Écrit par : sandy | samedi, 25 octobre 2008
Voilà, c'est rectifié, désolé !
Écrit par : Ray | samedi, 25 octobre 2008
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