vendredi, 16 mai 2008
Lent balancement de la houle
Lent balancement de la houle, dans un ciel anis, déchiré du cri des mouettes. Les minarets s'inscrivent en volutes sur l'horizon. Là, tout près, le cargo mugit, la fumée s'échappe à gros bouillons. Gaétan n'a pas envie d'assister au départ, les mouchoirs agités qui s'envolent. Après trois semaines à Istanbul, l'idée de voyager sur ce bateau lui plaît. S'isoler, penser différemment peut-être. C'est alors qu'elle apparaît. Jamais il n'a vu de visage aussi défait. Elle marche comme un somnambule. Au moment où il ouvre la porte de sa cabine, elle s'évanouit devant lui. Il la prend dans ses bras et la dépose sur le lit, se frayant un chemin parmi les bagages. Il devine un je ne sais quoi de très jeune en elle, pourtant elle a peut-être le double de son âge. Cheveux fins, visage rond, presque lunaire, une douceur asiatique dans les traits. Une savante construction de lignes, d'arrondis, en arpèges, tout autour.
Il a l'impression par son regard, sa position, d'une échappée fulgurante dans l'intimité de quelqu'un. Elle dort, le visage légèrement apaisé. Il ferme la porte, s'assoit à côté du lit. Impossible de la quitter des yeux. Les machines vrombissent. Le cargo, avec des passagers à bord, se dirige vers Marseille. Comment peut-on souffrir à ce point ? Son coeur bat régulièrement. Il lui enlève les chaussures, ramène une couverture. Est-ce que je vais dormir, dans cet état ? Se promener sur le pont, bonne idée, respirer l'air du large. Il part à regret. Le navire s'élance sur la mer de Marmara, perlée de lumières. La nuit tombe, enfin le silence. Un vent puissant, roboratif, soulève l'écume. Il est heureux dans cette solitude. Devant ses yeux, elle danse toujours. Les reflets de la lune courent sur le glacis des vagues. Il imagine les criques brûlées de soleil, l'odeur des pins, des cyprès, les crépuscules amarante et puis l'histoire, majestueuse, inscrite dans les paysages. Mais ces sensations le laissent de marbre aujourd'hui. Il retourne près d'elle.
Raymond Alcovère, début du roman "Le Sourire de Cézanne", éditions n & b
00:20 Publié dans Le Sourire de Cézanne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond alcovère, le sourire de cézanne, istanbul
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