samedi, 15 octobre 2005
L'aube a un goût de cerise
Je suis parti et voilà que le monde s’ouvre à mes yeux. Le vent fait claquer les voiles, le jusant doucement nous éloigne. Les cris des marins se répondent. Les os du bateau craquent, son grand corps de sel et de vent s’ébroue.
Le navire s’enfonce. Une femme chante un refrain des îles. J’emporte les bribes de ce rêve. Musique.
L’horizon se mire dans la mer, palette, giclées obliques. Puisse l’espace être toujours aussi immense, incertain autour de moi, reflets cristallins –l’inutile est si beau!– dans l’ombre de cette immensité fauve, faunes dansant, bleu-noir en abîme.
La nuit est cantilène, frémissante. Ciel vineux, orages, grondements sourds, ordalie de la nature, cruauté des éléments, ivresse des nuages, flèches et oriflammes tendus en toile d’horizon.
Au loin s’avancent les Grands d’Espagne, lutte rageuse et férocité de la nature. Milliers et milliers de bateaux accostés ici, avant de se livrer à l’océan, en un geste désespéré. Tout revient à sa vérité première.
Lueur étalée, rideau cramoisi, le navire, toutes voiles dehors, déchire d’un trait aquilin les flots turquoise, poissons volants, dauphins batifolant, nuit rouge s’abattant, ciel turquin, lueur d’or qui s’efface, vert paradis de la nuit. Liberté enfin.
Une aube irréelle. Elle est apparue, éparpillée et légère, fluide, en écharpes lentes. L’espace, transpercé de vide, vapeurs blanches dans un halo doré, a refermé sa coquille de silence.
Vent, feu, soleil, font trembler les limites, la neige elle, évapore, dissout, recouvre. Reste une pureté glacée, à croquer le ciel, étoiles blanches immobiles, sucre candi, à figer le mouvement.
La neige épouse les contours et les ombres, toute lutte remise à plus tard, dans un silence de feutrine.
Il fait froid mais je le sens à peine. Le ciel râpé de couleurs saigne à nouveau. Des voiles, échappées de l’île, s’effacent.
Nous quittons cette anse redoutable, si bien protégée, en pointillé sur l’océan fabuleux. Ivresse saline de la mer. Au milieu de l’océan, la terre paraît moribonde.
Bleuités mauves. En fines particules. Dentelles à peine ouvragées dessinant une clarté verte, tourbillonnant, en une seule nappe de nuit.
L’humidité de l’air happe les songes et nous plonge dans un halo de pluie.
L’atmosphère a cette pureté neigeuse, gravée dans ma mémoire. Laiteuse clarté lointaine. Sourire de la mésange.
Limites mouvantes entre le ciel et la mer. Parfum d’amarante.
L’aube a un goût de cerise.
Texte écrit pour une exposition à la chapelle Sainte-Anne à Arles en novembre 2002 autour de l’œuvre du poète Saint-John Perse.
© Raymond Alcovère
14:22 Publié dans littérature | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Subtile poétique de l'aube.
Bien bien..plus fort et émotionnel qu'une photo du ciel peint d'ôcre.
Écrit par : Insolent Verlaine | samedi, 15 octobre 2005
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