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mardi, 20 septembre 2005

Extraits inédits de "Friterie-bar Brunetti" - 5

Pourtant, voulez-vous que je vous dise ?, les fripouillards d’en haut, les petites crapules du capital et leurs ridicules roquets, fricoteurs de l’immobilier et boursicoteurs de bas étage, feraient bien de se méfier et redouter de devoir rire demain à dents serrées. C’est que s’accrochent encore et malgré tout, voyez-vous, ici ou là, ouverts sur de minuscules placettes pavées, donnant sur de mesquines avenues, baillant aux trottoirs d’anguleuses ruelles voire se cramponnant au fond de suintantes impasses, les derniers bistrots à populo et autres Friterie-bar Brunetti qui n’ont du tout dit leur dernier mot, aux zincs desquels s’aiguisent à l’heure de l’apéro — À la tienne, Étienne! — les théories révolutionnaires les plus audacieuses, aussi les couteaux. Vieille Garde limonadière traquée par les bigots et leur triste époque, mais qui ne se rend pas ; non plus ne meurt! Et merdre! eût dit le Père Ubu.
    
Toutes les révolutions qui ont fait avancer le monde, vous le savez bien, ont été accouchées dans des salles de cafés, par des buveurs inspirés, à même des tables à vin poisseuses de lourd picrate et encombrées de litrons. Fieffé petit farceur qui me prouvera le contraire! Regardez Robespierre, attablé, jeune loup aux yeux brillants et dents blanches, dans les bouges alentour le Palais Royal, y rêvant liberté, égalité, concoctant jusqu’à la minutie échafauds et charrettes à venir. Avec Danton, Marat — l’ami du peuple—, au Procope fignolant la doctrine. Camille Desmoulins, retour de Versailles, sautant sur une table du Café de Foy, le 13 juillet 89, pour haranguer les citoyens, sonnant le tocsin d’une Saint-Barthélémy des patriotes et appelant aux armes. La prise de la Bastille, il faut le savoir, s’est d’abord faite avec des gens un peu pompettes et qui grimpaient sur les comptoirs des cafés parisiens. Voilà tout.

À peine finie sa promenade parc Montsouris, Vladimir Illitch Oulianov enfourchait son vélo et, de la rue Marie-Rose, giclait au Café d’Orléans mijoter devant une verte son grand badaboum aux petits oignons. À La Rotonde, parfois Au Dôme, il retrouvait Soutine, Modigliani, Cendrars, Fujita, les immigrés du Montparno, tout ce beau monde trinquant cul sec et gambergeant plein pot sous la casquette. À La Closerie des Lilas où il avait sa table, oui madame!, il disputait d’infernales parties d’échecs avec son ami Trotski et transformait la société à la six-quatre-deux avant de faire un sort à la dernière bouteille et changer de crémerie. Et je ne vous surprendrai pas, certes, si je vous dis que c’est attablé devant un bock de bière et sans bouger une fesse de sa banquette, une pile de journaux sous le nez, qu’il apprend l’abdication du tsar, le 16 mars 17, au Café de La Terrasse, à Zurich, pour être précis. Alors, après, la traversée de l’Allemagne, le wagon plombé, le retour en héros à Saint-Petersbourg, tout ça c’est histoire d’aller arroser l’affaire sur place au Café Pouchkine avec les copains et entrer un peu plus tard pépère au Palais d’Hiver.  Sans le secours et l’assistance des bistrots, croyez-le bien : Lénine il n’était plus rien. C’est historique, c’est tout.

(Extrait de "Friterie-bar Brunetti" : Pierre Autin-Grenier, à paraître le 6 octobre chez l'Arpenteur)

10:15 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Ah ah ah ! Il m'éclate ce Pierrot! Vive l'anar des bistrots !

Écrit par : Calou | mardi, 20 septembre 2005

Les commentaires sont fermés.