dimanche, 05 avril 2015
L'écriture penchée des nuages
Je voudrais être au plus près du monde mais il m’échappe toujours. Une ombre de banyan s’étend mollement sur la mer.
Tout est entré dans le ciel. La nuit est musicale, heureusement. On y lit la portée du jour, nervures, entrelacs, déchirures, reconquêtes, fractures, apaisement.
Les bateaux sont des libellules d’eau. Le navire décrit une courbe pour éviter les îles qui avancent, promontoires menaçants.
Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. François-René, ta langue est un paroxysme, cet océan aussi le tien.
La sirène du steamer mugit. La fumée s’échappe à gros bouillons et rejoint les nuages, effacées leurs traces. Le sillon se dévide dans une infinie lenteur.L’horizon s’enflamme de jets saccadés, monstrueux, barbaresques. Le ciel est une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. De grandes orgues joufflues gonflées de nuit. Une symphonie du nouveau monde.
Lumière plombagine. Les éclairs ouvrent des plaies, un écrin d’enluminures. Reflets zinzolins de l’aurore, devant.
A un moment il ne reste que la fuite, se dissimuler. Fixer des silences, des pauses, masquer le tumulte, l’arrogance, la brutalité du monde.
Pluie incessante et chaude. Écriture penchée des nuages. Flaques grises dans les sous-bois de la nuit. Des arbres si haut qu’on en décèle à peine la hauteur.
Les bruits émeraude parviennent étouffés. La chouette est seule dans le silence à ignorer l’obscur. Pour elle l’univers brille d’une étrange lumière, argentée, déployée par une main invisible mais partout présente, l’or du temps.
Ce n’est pas un départ, mais une suite. Présence, présence seule. Tisser les mots, le silence et les notes de la pluie. Tisser tout fragment de l’univers.
Voici les grandes plaines de l’ombre. Ce gris me plaît. J’arpente des frondaisons. L’obscur est éphémère. Les nuages sont l’architecture du monde.
Les variations Goldberg s’inscrivent dans le contour bleu du ciel, le pli de la mer, ses ondulations. Constellations blanches, irisées, qui flottent, tout autour.
Paul ton œuvre est devant mes yeux. Un repos, une paix de l’âme. Lés immenses, tendus de soleil. Les couleurs crient, répondent, se repoussent, ce dialogue entre elles est notre viatique, nous qui ne savons rien, qu’interroger le silence, à grands traits rageurs, impatients. J’aurais voulu décrire ta palette, son scintillement, comme toi éclairer la nuit. Elle parle de l’innocence, elle remonte loin dans l’histoire. Parfois on y distingue une obscurité de caverne, une profondeur d’ébène, chaude, puis éclate un fraternel printemps.
On ne construit pas de palais sur la mer. Ce sont pourtant les seuls visibles, le réel un rideau de fumée.
Ici, là, une trouée, halo argenté, portée musicale. Le reflet d’un poisson volant. L’ombre de Walt Whitman. Lourds nuages cendrés. Point d’interrogation.
Raymond Alcovère, extrait de L'aube a un goût de cerise, N&B éditions, 2010
Paul Klee, Rues principales, secondaires, 1929
03:29 Publié dans L'Aube a un goût de cerise | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : l'aube a un goût de cerise, paul klee
Commentaires
J'ai aimé et j'aime toujours ce passage de ce recueil, je crois que je lirai cent fois et cent fois il me donnera autant de joie. Il est doux, coloré, d'une poésie ....magnifique ! Merci.
Écrit par : Hélène | samedi, 11 avril 2015
Magnifique texte, ou, plus justement, magnifique poème!!
Écrit par : Dominique BARROT | mardi, 14 avril 2015
Mercis
Écrit par : Ray | mardi, 14 avril 2015
J'aimerais être abonnée au fil de discussion ou à la newsletter.
Je suis arrivée sur votre site par le philosophe François Jullien qui me passionne depuis des années.
J'ai également beaucoup apprécié votre texte sur Cézanne.
Merci
www.yolande-coomans.com
Écrit par : Yolande Coomans | mardi, 09 juin 2015
J'aimerais être abonnée au fil de discussion ou à la newsletter.
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Merci
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Écrit par : Yolande Coomans | mardi, 09 juin 2015
Bonjour
Je n'ai pas d'abonnement ni de newsletter ! j'annonce sur Tweeter mes parutions et je suis également sur Facebook ! Au plaisir d'échanger avec vous !
Écrit par : Ray | mardi, 09 juin 2015
Je ne suis ni sur Twitter ni sur Face book malheureusement car je n'ai pas le temps!
Cordialement
Écrit par : Yolande Coomans | mardi, 09 juin 2015
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