samedi, 16 mai 2009
L'art imite la nature
"L'art imite la nature non pas dans ses effets tels quels, mais dans ses causes, dans sa "manière", dans ses procédés qui ne sont qu'une participation etune dérivation dans les choses de l'art divin lui-même"
Paul Claudel
Jean-François Millet, Femme nue couchée, 1844-45,
huile sur toile, 33 x 41 cm,
Musée d'Orsay, Paris.
huile sur toile, 33 x 41 cm,
Musée d'Orsay, Paris.
08:20 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : art, millet, paul claudel
Commentaires
ATTENTION : La nature ne peut être créative que parce que l'homme la regarde, un couché de soleil n'est pas beau en lui-même, il est beau, parce que des hommes en éprouvent le sentiment, pour preuve : il n'y a pas grand chose de plus laid, dans le règne animal, que l'humain et pourtant les hommes admirent leur beauté corporel entre eux... Si la nature était belle en elle-même, on verrait des animaux regarder les couchés de soleil... Que la nature soit "utile", certes, et a ce titre elle est à préserver, mais qu'elle soit belle... Il faut bien y réfléchir, car dans ce cas cela implique la croyance en un Dieu créateur du ciel et de l'univers avec tout ce que cela comporte de fanatisme...
Tout ça n'empêche pas que la nature peut être passionnément créative, belle, dispensatrice de sérénité etc... mais à l'échelle humaine uniquement, car notons bien qu'elle peut-être (toujours à l"échelle humaine) destructrice comme nul autre chose, laide (comme le corps humain par exemple), angoissante : Lorsqu'on observe le spectacle extraordinaire d'une super nova , n'oublions pas que s'il s'agissait de l'effondrement de notre système solaire (qui est à la moitié de sa vie) ce serait nettement moins drôle !
Écrit par : jacki marechal | samedi, 16 mai 2009
Ah la la Raymond, savez-vous que le Président de La Maison des écritures de Lombez où je viens de passer une semaine de résidence s'appelle... Paul Claudel ? ça ne s'invente pas.
Jacki, vous trouvez le corps humain laid ? Il y a quelque chose, dans sa fragilité, de particulièrement émouvant. Repoussant parfois, je vous l'accorde, mais d'une grâce surnaturelle a d'autre, d'une sidérante beauté aussi. Et quelle ambiguité du regard quand tout cela cohabite !
Écrit par : Frédérique M | lundi, 18 mai 2009
Ma bien chère Frédérique, dire :
"La Seine coule sous le pont Mirabeau" ou "Sous le pont Mirabeau coule la Seine" c'est exactement la même chose, sauf que dans un cas c'est de la géographie et dans l'autre de la littérature... Un corps humain n'est que de la géographie (ou de l'anatomie dans ce cas si vous préférez), tant qu'il n'a pas été sublimé par le regard de l'humain. Faites l'expérience ! Ne pensez pas au corps des magazines, mettez vous simplement nue devant un miroir en plein pied et observez, vous verrez que sans concept il n'y a rien là de particulièrement extraordinaire... Mais dès que vous ajoutez du concept, tout peut arriver, de la grâce à la fragilité. Dans ma démarche personnelle de peinture, cela m'intéresse de rendre cette vérité nue, non transcendée. Et, c'est uniquement une question de facture (et non de sujet), facture qui ne doit jamais tenir grâce à de l'habileté, mais grâce au fait de travailler jusqu'au bout, même si personne n'est capable de le voir.
Les institutions demandent aux peintres du "sujet", on nous demande nos intentions, on nous demande des "Notices explicatives de notre démarche" tout ça parce que ce ne sont pas des peintres qui président à ces institutions, la peinture tient dans sa facture, pas dans le sujet pensé et décrit, le sujet, s'il y en a un, est adventice. C'est les pompiers qui peignent des sujets. C'est pour cette raison que la peinture, n'a rien à voir avec la nature. Exactement comme les écrivains ne sont pas des géographes !
C'est enfin, je l'avoue, pour toutes ces raisons que je m'agace contre les beautés "naturelles" dont le corps humain fait partie...
Écrit par : jacki marechal | lundi, 18 mai 2009
C'est là une question sur laquelle je ne m'étais pas arrêtée - de l'existence (ou non) de la beauté naturelle des choses. Ce qui est beau l'est-il parce que je le regarde ? C'est une interrogation de philosophe, merci Jacki.
Écrit par : Frédérique M | lundi, 18 mai 2009
La beauté n'existe en effet que parce que nous l'inventons !
Tels ou tels objets, spectacles, ou personnes, m'émeuvent et je dis qu'ils sont "beaux", faute de mieux, pour dire simplement que je les aime ! Notre langue, comme les autres invente une qualité, nommée beauté, par commodité de communication, alors qu'il s'agit d'une action, celle d'aimer, d'être séduit par...
Ce qu'on appelle la beauté n'est qu'un acte de séduction, une ruse de la nature vivante pour nous engager à nous reproduire et perpétuer la vie...
Écrit par : Marc LARIVIERE | lundi, 18 mai 2009
"Ne pas imiter la Nature," disait Picasso, mais "faire comme elle..."
En ce sens Claudel avait bien raison de dire que l'art n'imite la nature que dans ses causes, sa manière et ses procédés et non dans ses effets, tels quels...
Écrit par : Marc LARIVIERE | lundi, 18 mai 2009
Et quand les commentaires sont tous aussi intéressant que l'article !
Merci messieurs dames ! merci et bravo raymond de susciter cela.
Écrit par : Hélène O | mardi, 19 mai 2009
Contrairement à ce que l'on croit, l'artiste doit inventer pour que ça tienne, même les dessins d'anantomie les plus classiques sont très inventés... Bien sûr pour le commun des regards ça ne se voit pas, parce que ce n'est pas fait pour être remarqué mais, pour faire croire à la réalité.
Quand Beaudelaire nous dit : « Le beau est toujours bizarre » il veut dire que la beauté n’est pas quelque chose qui se manifeste d’une manière immédiate.
Allons plus loin encore en disant qu’une œuvre d’art n’est pas un message : son « sens profond » excède de beaucoup sa signification plus immédiate, laquelle peut d’ailleurs, à l’extrême, être nulle. Un discours qui se contente d’informer, n’est pas artistique. L'art n’appartient pas au monde de l’information ; donc la dualité du vrai et du faux ne s’y applique pas, il ne s’agit pas, avec par exemple l'art poétique, de reproduire le réel, il s’agit d’en produire un autre.
La poésie n’est pas un message, elle n’a de sens artistique que si elle prend sa propre forme pour objet, je le répète : « La Seine coule sous le pont Mirabeau » a la même signification que « Sous le pont Mirabeau coule la Seine » mais pas du tout la même fonction : le premier énoncé est une information géographique, le second un vers poétique.
C’est à la fois la même chose et pas la même chose de dire :
« J’étais mal dans ma peau mais on a passé une bonne semaine entre copains et ça m’a fait du bien »
Ou de dire comme Aragon l’écrit :
« Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l'immense été
Des choses humaines »
C'est à l’intérieur de l’intention d’œuvre d’art, à l’intérieur de ce qu’on pourrait nommer - on vient de le voir - comme un autre réel, comme une réalité artistique qui prend sa propre forme pour objet, que le véritable travail de l’artiste commence.
Écrit par : Jacki Maréchal | jeudi, 21 mai 2009
Ca me fait penser à ce titre de film, poétique lui aussi : "De battre mon coeur s'est arrêté." "Mon coeur s'est arrêté de battre" ne serait jamais passé !
Écrit par : Ray | jeudi, 21 mai 2009
Oui, il y a bien des oints intéressants… Le problème, c'est qu'il ne faut pas confondre imiter et copier. LA copie n'atteint jamais le modèle, l'imitation véritable reprend et poursuit le mouvement causal de la nature. Si ça vosu amuse voici une petite piste :
Lorsque nous regardons un paysage peint, nous sommes touchés, émus par la grâce singulière des couleurs, les mouvements harmonieux des lignes, traits ou formes. La beauté de l’oeuvre tient ainsi à la manière (maniera, en italien, signifie style) dont elle est faite. Pourtant, nous promenant dans la campagne, nous pouvons aussi y contempler de beaux paysages. D’ailleurs, Léonard de Vinci recommandait à ses élèves de “faire des tableaux comme des miroirs” et de se “conformer à l’objet naturel”.
Pourquoi le peintre doit-il ainsi se référer à la nature ? La “conformité” peut paraître problématique : veut-elle dire que la nature est supérieure à l’homme, et doit donc guider son travail de création ? Elle est alors un modèle à imiter. Ou bien, au contraire, n’est-elle pour le peintre qu’une source d’inspiration ? Le plus important alors serait la représentation qu’il en donne, c’est-à-dire l’expression singulière. Comment comprendre cette ambiguïté ?
La nature comme modèle
Penser la nature comme modèle impliquerait donc la subordination de l’activité artistique à son modèle. Se “conformer à” peut s’entendre dans le sens d’une “mise en accord” ou “se régler sur”. Accord doux et relatif cependant, car le peintre ne se règle sur la nature qu’en l’aimant. Pourquoi l’aime-t-il ? Parce qu’elle est belle. Aussi cherche-t-il à s’égaler à ses productions, à faire des “miroirs” où les hommes retrouverons l’image d’une nature dont il faut rendre visibles les beautés.
Mais la nature est encore désirable comme modèle par l’étonnante diversité de couleurs, formes, figures, lignes, courbes, bruits qu’elle nous propose et qui en font la création par excellence. Elle est même l’origine de tout ce qui existe, y compris de l’homme. S’y conformer est donc une manière de lui rendre l’hommage que l’on doit à ce que l’on reconnaît comme un principe supérieur. Enfin, la spontanéité de ses formes paraît le signe de sa perfection et de son inventivité. Par son travail laborieux le peintre doit donc s’efforcer de donner à son oeuvre l’apparence d’une telle spontanéité et d’atteindre ainsi une perfection identique. Cependant, l’oeuvre d’art ne répond-elle pas tout autant à une nécessité intérieure qui ne trouve dans la nature que l’occasion de s’exprimer ?
La représentation de la nature
Aussi fidèle que l’artiste veuille être à la forme naturelle, il introduit inévitablement dans son oeuvre un style qui n’appartient qu’à lui. Raphaël peut ainsi croire que, lui aussi, est entièrement “conforme à l’objet naturel” ; sa représentation de la nature n’est pourtant pas celle de Léonard de Vinci. N’est-il pas surprenant que le même modèle puisse donner lieu à des représentations différentes et également belles ? Le peintre fait des “miroirs” : il ne représente pas, en ce sens, la nature, mais toujours une nature.
L’oeuvre d’art manifeste donc un écart d’avec son modèle naturel. L’artiste ne crée qu’une nature stylisée, c’est- à-dire reprise par une technique et une forme qui lui sont propres. Il n’y a, par conséquent, jamais d’imitation véritable. Si imiter signifie reproduire ou copier, alors nous pouvons dire que jamais l’art n’a été une simple reproduction de la nature. Le “miroir” n’a pas le sens d’une servilité. Le peintre élabore une vision personnelle, ce qui revient à dire qu’il s’exprime. La nature n’est pas une source d’imitation possible, mais d’inspiration. Elle donne à l’artiste l’occasion d’exercer son talent et sa manière. Elle lui offre une matière qui demande à être mise en forme. Représenter la nature à son idée revient justement à idéaliser la nature, c’est-à-dire à la soumettre à des critères de la belle représentation.
Le style devient ainsi la marque la plus visible de la liberté de la création artistique. Il n’est rien d’autre que l’expression du génie créateur. Mais n’est-ce pas dire alors que la nature perd même son privilège de “modèle” ?
La beauté de la nature est dans l’art
Ce n’est plus parce que la nature est belle que l’artiste l’aime, mais c’est parce qu’il l’aime qu’elle est belle. Son art lui prête ainsi une beauté qu’elle n’avait pas nécessairement. La beauté de la nature est liée à la possibilité humaine de poser un regard sur elle et de la rendre belle. Les représentations artistiques sont ainsi des expressions culturelles de la nature. D’où leur multiplicité. La nature représentée fait ainsi toujours écho à notre humanité.
C’est pourquoi Kant peut dire que la nature est belle quand elle a l’aspect de l’art.
Ce pouvoir d’esthétiser la nature est sans limites. L’artiste peut magnifier toutes les formes naturelles. La nature que nous trouvons laide ou repoussante se trouve transfigurée en beauté, c’est-à-dire dépassée et assumée par le regard artiste posée sur elle. Cette magie de la création, transfiguration de la nature, peut même aller jusqu’à la rejeter comme modèle. La peinture abstraite, par exemple, se refuse à toute représentation figurative. Dans un contexte religieux, l'art musulman également : il développe des arabesques purement géométriques. Elle place le spectateur devant le matériau même de l’art pictural : la couleur. L’idée d’une représentation de la nature se trouve ainsi occultée au profit d’une expérience pure de la sensation colorée.
Le pouvoir d’enchantement de l’art
L’art est le pouvoir de transformer indéfiniment la nature : il possède ainsi une fonction médiatrice. Il interpose entre notre regard et la nature ses images propres. Celles-ci, loin de n’être que des “miroirs-copies”, sont plutôt des miroirs agissants. La nature offre à l’artiste un vaste champ d’expérimentations qu’il peut modeler au gré de son style, désir ou sentiment. Ses créations sont ainsi révélatrices d’une subjectivité qui prend forme dans l’oeuvre et d’un aspect de la nature que nous méconnaissions. Son but est de nous révéler une nature cachée, enfouie sous notre ignorance et nos habitudes. Il nous apprend ainsi à aimer la nature, en lui prêtant la force de ses rêves.
Mais c’est dire combien il alimente ainsi notre propre rêverie sur l’oeuvre. Cela engage une attitude esthétique qu’il nous faut toujours apprendre et redécouvrir. L’artiste nous ravit, c’est-à-dire qu’il nous arrache à nous-mêmes et nous convie à rompre avec la banalité du quotidien. Ce rapt n’est pas de peu de prix… Il concerne notre amour de la vie même.
Écrit par : J.-J. M. | vendredi, 22 mai 2009
Autrement (mieux) dit :
Oui, il y a bien des points intéressants… Le problème, c'est qu'il ne faut pas confondre imiter et copier. La copie n'atteint jamais le modèle, l'imitation véritable reprend et poursuit le mouvement causal de la nature. Si ça vous amuse voici une petite piste
Ah ! L'Ascension, moi, ça me perturbe ! Plus dure sera la chute…
Écrit par : j.-J. M. | vendredi, 22 mai 2009
Normal d'être oint le jour de l'Ascension, idéal pour éviter la chute !
Écrit par : Ray | vendredi, 22 mai 2009
En nez fait !
Écrit par : j.-J. M. | vendredi, 22 mai 2009
Belle tirade j.-J.M., qui prend bien en compte le concept grecque d'une nature parfaite et le mythe chrétien d'un créateur de la nature et puisque vous citez Léonard de Vinci, voici une série de citations que j'ai compilé, et, pour jouer au ping pong sur le dos de Léonard, une de lui-même qui dispute les deux que vous mentionnez :
Diderot nous dit : « L’objet de la création artistique c’est d’exprimer à travers l’apparence ce qui n’appartient pas à l’apparence » Mallarmé dit plus simplement de la danseuse de Degas que ce n’est pas une femme qui danse car ce n’est pas une femme et elle ne danse pas. Malraux à son tour : « Le vrai peintre s’efforce de peindre ce que l’on ne peut voir que par son œuvre ». La peinture est une chose mentale dira Léonard De Vinci : Le peintre ne peint pas ce qu’il voit, il peint ce qu’il pense. Delacroix disait de la nature qu’elle n’est qu’un dictionnaire. Renoir : « L’art ne s’apprend pas en regardant la nature mais en fréquentant les musées ». Maurice Denis dans son article manifeste de 1870 : « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Citation d’autant plus significative que l’art de Maurice Denis est, bien sûr, particulièrement figuratif… Lorsque des critiques trop pieux reprochaient à Millet de peindre des paysans qui portaient un offertoire comme un sac de pomme de terre, Millet répondait en effet que la pesanteur commune au deux objets était plus profonde que leur distinction figurative. Lui peintre il s’efforçait de peindre la force de pesanteur, et non l’offertoire ou le sac de pomme de terre.
Chacune de ces citations méritent une méditation attentive, et au bout du compte, elles demandent si la question de la nature mérite d'être posée face à l'art ?
Personnellement en tant que peintre, la nature m'importe peu, je m'y sens très bien, c'est très reposant, mais je n'y voit pas de beauté artistique, les couleurs par exemple sont gnangnan culcul d'un point de vue artistique : il faut bien admettre que l'automne ou un coucher de soleil, c'est digne des "chatons dans un panier" sur le calendrier des postes !...
Écrit par : Jacki Maréchal | dimanche, 24 mai 2009
Les spectacles de la nature nous donnent des sensations, faibles ou parfois très fortes, plus ou moins captivantes, c'est indéniable, mais elles ne sont pas purement esthétiques ! C'est une donnée brute où se mêlent une foule de sensations très diverses... C'est donc une erreur, je crois, de les mettre sur le même plan que les représentations d'oeuvres d'art où l'artiste "remâche" a sa façon l'expérience donnée, et décide de créer, par lui-même, une forme de beauté particulière qu'on peut appeler artistique.
Écrit par : Marc LARIVIERE | lundi, 25 mai 2009
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