mercredi, 15 avril 2009
Printemps à fréquenter, un inédit de Françoise Renaud
Regarde, mon fils, regarde autour de toi.
N’est-il pas magnifique, ce pays qui se laisse désirer —qui ne se livre qu’au fil d’une vie —, pays de lande qui connaît des saisons violentes à cause du vent, à cause de l’eau — l’eau de la pluie ou bien l’eau de la mer —qui frappe déferle ronge remplit fractures et trous de lapin, pays de broussaille égayée aux prémisses d’avril par les fleurs de l’ajonc.
Vanillée la senteur qui monte sitôt qu’on se penche, esprit du lieu sans doute, arbustes métronomes à l’écoute du temps disposés à tous les sacrifices.
Regarde, mon fils, et fréquente ce printemps.
Il va t’apprendre le ciel aux vastes nuées changeantes, mais comment tout ça peut-il être si beau ? Impensable, vraiment… presque trop… nous sommes toujours si occupés. N’oublie jamais mon fils, qu’un jour arrive où il ne nous reste plus qu’un seul et unique printemps et qu’on ne le sait pas, toutes saisons confondues brusquement derrière soi affûtant l’indescriptible issu de l’enfance, le reléguant au rang de regret.
Mais il suffit de marcher pour que la pensée s’éclaire et se remplisse du gras des choses.
Après moi tu continueras d’emprunter le sentier des douaniers, à moins que ta vie ne s’abrège — mais il ne faut pas penser à ça, à la mort de l’enfant avant soi —, et l’air te parlera de tes aïeux, de leur tempérament taciturne et de leur souffrance à gagner leur pitance. Ils ont bien existé, tu peux en être sûr. Leurs bras étaient durs comme le rocher, leurs barbes aussi grises que le schiste. Ils regardaient les falaises, fixaient depuis leurs champs le liséré scintillant de l’océan. Et la côte vibrait comme un appel, symbolisant l’inaccessible.
Va mon petit, marche et respire le parfum de vanille.
Tu croiseras des lapins, verras les cyprès plier et les murailles s’effriter sous les coups de boutoir des hivers.
Va mon enfant, mon seul et unique enfant.
C’est aussi ton pays, ton corps, ta chair minérale. Et il se dessinera à travers ton sommeil des constellations d’or et d’écume jusque là jamais décrites dans les livres, une sorte de bagage — à l’inverse du fardeau —, ton plus bel héritage.
06:44 Publié dans Inédits | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : inédit, françoise renaud
Commentaires
Magnifique ce sentier, en effet. Un rappel de Bretagne inopiné. Merci.
Écrit par : solko | mercredi, 15 avril 2009
C'est avec un gran plaisir que j'ai fréquenté ce printemps . Bises.
Écrit par : ariaga | jeudi, 16 avril 2009
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