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lundi, 13 février 2006

Il s’agit, avant tout, d’un bonheur de langage

 L’érotisme, bonheur dans la connaissance, ne respecte rien, sauf la justesse d’exécution. Il est ennemi de toutes les pesanteurs et de toutes les idoles "

Pourquoi l’érotisme rend-il heureux ? Parce qu’il est un retour direct à l’enfance, à ses jeux, à sa gratuité, à sa profondeur de temps. L’enfant, on le sait depuis Freud, est un pervers polymorphe qu’on oblige ensuite, sous prétexte de normalité, à devenir un pervers honteux monomorphe (la famille, l’école et le travail s’y emploient). L’adulte est en général un enfant durci, puritain malgré lui, péniblement pornographe. Il s’applique dans le vice comme dans la vertu, il est ennuyeux, peu doué pour la régression enchantée qui définit l’érotisme. Ce n’est pas par hasard que « le vert paradis des amours enfantines » (Baudelaire) lui reste fermé. Il en rêve, l’adulte, il se sent jeté en enfer, il devient parfois bassement pédophile pour tenter de rejoindre son corps perdu.
Il délire assez vite sur le sujet (voir la minable affaire Lewinsky), s’empêtre dans ses dénégations, bafouille, réprime, s’obstine, et finit par transformer la question en marchandise dégradée. Rien de plus éloigné de l’érotisme, par exemple, que la littérature érotique. C’est un genre qui, comme le pastiche, ne supporte pas la médiocrité. C’est pourquoi, au risque de faire hurler, il faut maintenir le constat que l’érotisme est d’essence aristocratique. Le bonheur, dans cette dimension du langage et des sensations, est rare, clandestin, toujours inattendu, discret, subversif. Contrairement à ce que veut faire croire la propagande puritaine, c’est une affaire grave, pas du tout superficielle, comme la musique. Grave et légère, joyeuse. Georges Bataille a résumé cela dans une formule fameuse : « L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »
L’érotisme menace la société de surveillance et de calcul parce qu’il convoque tous les sens en même temps. Ce n’est pas une affaire « de cul » (même si). Il s’agit, avant tout, d’un bonheur de langage. On se touche en parlant d’une certaine façon. C’est ce que les Anglais, autrefois, appelaient avoir des « conversations criminelles ». Pas d’érotisme vrai sans verbalisation appropriée : c’est un art. Le bonheur, ici, est de pouvoir jouer des fantasmes les plus crus de façon détachée. Les tempéraments érotiques, c’est connu, sont le contraire de la perversion sociale et de son désir morbide de négation de la liberté et de la vie.
L’érotisme, bonheur dans la connaissance, est une désacralisation sans rabaissement. Il ne respecte rien, sauf la justesse d’exécution. Il est ennemi de toutes les pesanteurs et de toutes les idoles. Tenez, par exemple, il ne sera pas mauvais de faire entendre aujourd’hui aux es- prits moisis cette phrase d’André Breton, datant de 1926 : « Oh, monsieur, quelle femme que cette Jeanne d’Arc ! Je crois que l’impudicité même avait établi toutes ses flammes dans le con de cette putain royale, la coquine était toute en feu et le foutre exhalait par ses pores. » Amen.
Par Philippe Sollers
Nouvel Observateur - Hors-série le bonheur - 1998

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09:38 Publié dans amour | Lien permanent | Commentaires (0)

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