vendredi, 03 février 2006
Soyez résolus à ne plus servir !
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l'ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu'il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n'étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu'il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu'il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu'il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu'il les mène à la guerre, à la boucherie, qu'il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine afin qu'il puisse se mignarder dans ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez afin qu'il soit plus fort, et qu'il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d'indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l'ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.
Discours de la servitude volontaire - Etienne de la Boétie
11:45 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Le serviteur volontaire peut encore avoir accès au royaume. D'autant plus s'il consent à sa servitude par amour. Celui qui asservit en est exclu.
"Le "Royaume des cieux" est un état du coeur". (Nietzsche)
Le moins roi n'est pas celui qu'il y parait.
Ceci est valable dans la vie privée, mais aussi dans la vie sociale. Celui qui se fait exploiter pour pouvoir élever ses enfants a un coeur en meilleur "état" que celui qui l'exploite.
Et quand il trouve les moyens et la force de se libérer, eh bien il peut continuer à se nourrir du pain qu'il a jusque là fait pour le maître, alors que le maître-vampire n'a plus qu'à rester sur sa faim... ou en trouver d'autres à abuser, sans jamais dans ce cercle vicieux pouvoir gagner la paix.
Un maître est un mort.
Un serviteur est un malade.
Un homme libre, celui qui n'a pas souhaité devenir à son tour vampire (bourgeois, pour faire écho à la note ci-dessus) est en bonne santé.
Écrit par : Alina | vendredi, 03 février 2006
... et comme tu le sais, Ray, malgré mon amour de la poésie, j'ai décidé d'éviter désormais les blogs vampirisés-vampirisants...
Écrit par : Alina | vendredi, 03 février 2006
Merci de ton passage, vent pire !
Écrit par : Ray | vendredi, 03 février 2006
Attention à ton cou !
;-)
Écrit par : Alina | vendredi, 03 février 2006
Mon corps est tatoué !
Écrit par : Ray | vendredi, 03 février 2006
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