vendredi, 30 septembre 2005
Miroirs...
"La France est fascinée par ce spectacle et on la comprend. On doute qu’il lui ai jamais été mis sous les yeux un miroir aussi clair de ce qu’elle est devenue. Elle peut voir là en vraie grandeur et en temps réel ce que sont ses enfants les jeunes gens d’aujourd’hui, quel est le résultat de son système d’éducation, et plus généralement de son système social de transmission des connaissances et des valeurs et ce que c’est que d’être vivant et d’habiter la terre maintenant parmi nous aujourd’hui pour des garcons et des filles à l’orée de l’âge adulte. Elle peut entendre ce qu’est sa langue, elle peut appréhender ce qu’est le sens des mots au sein d’un groupe considéré comme représentatif d’une tranche d’age et mesurer le degré de richesse, de complexité et d’éfficacité des instruments syntaxiques des sujets sous observation. Par voie de conséquence elle a tout loisir d’apprécier le type de rapports humains qui fleurissent grâce à ces instruments là, les idéaux qu’ils autorisent ou qu’ils suscitent, la weltanschauung d’une génération. Ce qui lui créve les yeux c’est le néant, non pas certes le grand néant métaphysique dont sont sortis les œuvres intrépides, d’immenses courants de pensée, des religions entières et quelques dizaines de civilisations plus ou moins raisonnables non un tout petit néant de rien du tout , un néant sans ombres et sans échos, sans rien qui puissent suggérer la plus élémentaire abîme. Trente ou quarante siècles de culture de l’âme ou du regard n’ont pas laissé la moindre trâce. Les parthénons ont été batis en vain, les comédies humaines et divines sont lettres mortes. Si des hymnes à la joie ont jamais retenti aucun écho n’en ait jamais parvenu jusqu’au loft. Qu’il y ait eu des peintures qu’il y en ait peut-être encore, que des paysages aient émus des voyageurs, qu’une sorte de lyrisme ait pu sourdre des mots, qu’on ait jamais pu s’exhalter pour une cause, pour une patrie, pour une idée fausse, un pan de mur jaune, le chagrin d’un peuple ou d’un roi, une fleur sur le tapis rien de tout cela n’émet plus la moindre perceptible vibration entre les lofteurs. Le sens s’arrête au bout des gestes de manger, de saisir, de désirer, de jouer, aucun tremblement sématique dans l’air et moins encore dans le temps. Sauf à quitter une bonne fois la condition humaine et le statut d’être conscient il ne semble pas qu’on puisse aller moins loin, convoquer moins de mots, ni tracer un cercle signifiant plus étroit. "
Renaud Camus
Magritte (les amants)
(Merci à Alina Reyes qui m'a permis de reproduire ce texte envoyé en commentaire sur son blog par et Guillaume)
18:00 Publié dans Télévision | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
C'est Guillaume et bien sûr Renaud Camus qu'il faut remercier !
Enigmatique choix d'image en regard du texte...
?
Écrit par : Alina | vendredi, 30 septembre 2005
"Trente ou quarante siècles de culture de l’âme ou du regard n’ont pas laissé la moindre trâce" : pour moi ce tableau l'image même de l'absence de communication derrière les apparences, c'est l'image des faux-semblants, je trouve qu'il va bien avec, ceci dit, j'aime bien qu'il y ait aussi un décalage, que ce ne soit pas exactement l'image attendue...
Écrit par : Ray | vendredi, 30 septembre 2005
Et puis ils ne peuvent pas sentir leurs langues, et ils doivent avoir du mal à respirer. Malgré tout ce baiser a son pouvoir de fascination, il y a aussi une idée de strangulation possible avec le foulard autour du cou de l'homme et la strangulation est très érotique. Et aussi les couleurs froid-chaud, la cravate, le mouvement de l'ombre autour de leurs têtes, l'encastrement des corps... Mmmmh j'arrête là... Déchirez le voile !
Sans doute plus érotique que ce que décrit ici Renaud Camus - mais je ne suis jamais arrivée à regarder ce genre d'émissions alors je ne sais pas trop. Enfin, si, je sais l'essentiel c'est que c'est pour moi d'un ennui profond et trop vilain esthétiquement pour que je puisse poser dessus mes yeux de princesse au petit pois !
Écrit par : Alina | vendredi, 30 septembre 2005
Oui ce tableau est fascinant et ambigu, le voile fait aussi que tout le monde peut s'identifier plus facilement (j'y étais comme disait l'autre !)
Je n'ai jamais pu aussi regarder le loft, mais tous les échos entendus, tout ce que cela a remué me donne à penser que ce qu'en dit R.C. est juste. Et puis les livres étaient interdits et ça s'est terrible, remember Farenheit 451 !
Écrit par : Ray | vendredi, 30 septembre 2005
J'ai écrit un jour une petite nouvelle dans laquelle une femme retrouvait chaque nuit dans le jardin un homme "sans visage" - enfin, dont on ne voyait pas le visage... mais c'est une vieille histoire, un fantasme et une inquiétude vieux comme le monde, je n'ai rien inventé, Eros et Psyché, tout ça... comme tu le dis, ça peut être n'importe qui de son choix et en même temps beaucoup de monde, ça correspond aussi à mon vieux fantasme d'avoir un harem d'hommes pour moi toute seule, dans un palais labyrinthique plein de portes de leurs chambres...
A part ça, je ne savais pas que les livres étaient interdits au Loft ! et les stylos aussi, sûrement ?
Écrit par : Alina | vendredi, 30 septembre 2005
Eh oui les livres étaient interdits au loft, ce qui prouve bien que la lecture est un acte asocial, tu imagines la caméra filmant quelqu'un en train de lire, c'est insoutenable pour le téléspectateur ! quant au stylos, on peut faire plein de choses avec un stylo !
Écrit par : Ray | vendredi, 30 septembre 2005
Ce petit instrument ne saurait mieux servir qu'à noter pour quelqu'un des mots tels qu'on ne lui en a jamais dits...
Merci pour le "petit pan de mur jaune", tout le texte m'est revenu en mémoire à mesure que je l'ai relu !
Merci pour tous ces textes en forme d'éblouissements.
Écrit par : Alina | samedi, 01 octobre 2005
Tout Proust est dans chacune de ses parties, éblouissant !
Écrit par : Ray | samedi, 01 octobre 2005
Les commentaires sont fermés.