Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 22 janvier 2009

L'Arétin et le Tintoret

museo_thyssen_g_764_173.jpgEn rentrant par la place des Prêcheurs, les peintres défilent dans sa tête. Greco, l’émotion brute ; corps, visages étirés, tendus par la douleur, une forme d’humanité rarement atteinte. Vélasquez, Les Menines, phénoménal tableau, le plus extraordinaire de tous peut-être, et La Vénus au miroir, sa sensualité absolue, lisse, froide, brûlante. Rembrandt, ses autoportraits, l’ironie, la nature est une splendeur d’ironie. Caravage, les corps taillés, sculptés par la lumière. Poussin, l’harmonie ; là tout est résumé, compris, entré dans la peinture. Rubens, la perpétuité colorée du sang, écrira Cézanne. Fragonard, l’exaltation, le désir. Delacroix, le feu, la passion. Picasso, à lui seul tout le XX ème siècle, ses chocs, ses ruptures. Et Titien, si fascinant ; talent inouï de coloriste, énergie et raffinement, longévité hors du commun, et son art de déjouer tous les pièges, sa vie durant ; le seul devant qui Charles Quint se soit baissé, pour ramasser ses pinceaux. Et il était l’ami de l’Arétin.

Raymond Alcovère, extrait du roman : Le Sourire de Cézanne

La Rencontre entre L'Arétin et le Tintoret


« On faisait circuler à Venise un sonnet injurieux pour le petit teinturier, qui résolut aussitôt d'imposer silence aux langues venimeuses.

Un jour qu'il aperçut l'Arétin dans les environs de la place Saint-Marc, Jacopo l'aborda poliment, et le pria de venir jeter un coup d'oeil sur ses ouvrages et lui donner une heure de séance, disant qu'il voulait faire d'un personnage si célèbre un portrait au crayon.

L'Arétin, entraîné par tant de courtoisie, et pensant que le jeune peintre n'avait pas connaissance du sonnet, se laissa conduire à San-Luca.

A peine entré dans l'atelier, il vit son hôte fermer la porte avec soin, courir vers un trophée d'armes, en décrocher une dague fort pointue, et s'avancer l'arme au poing.

Jacques Robusti portait bien son nom : ses épaules carrées, sa taille haute, ses bras nerveux, sa mine énergique et l'épaisse forêt de cheveux qui se dressait sur sa large tête, lui donnaient l'apparence d'un athlète solide et de mauvaise rencontre pour un homme qui l'avait offensé.


L'Arétin se repentit trop tard de son imprudence.

— Eh ! Seigneur Robusti, s'écria-t-il en changeant de visage, que voulez-vous faire de cette dague ?

— Tenez-vous droit et ne bougez pas, lui dit brusquement le Tintoret, sans quoi je ne réponds de rien.

L'Arétin, tremblant de tous ses membres, vit Jacopo s'approcher de lui, et le toiser des pieds à la tête avec la dague.

—Vous avez, poursuivit le peintre, deux fois et demie la longueur de cette lame. Ne fallait-il pas, pour faire de vous un portrait exact, que j'eusse la mesure de votre personne ?

Voilà qui est fini; mais n'oubliez pas que, s'il vous arrive de m'insulter dans vos sonnets, je prendrai avec cette dague la mesure de votre coeur et de vos entrailles.

A présent, asseyez-vous dans ce fauteuil, et causons ensemble sans nous fâcher, pendant que je mettrai sur ce papier le visage effaré de votre seigneurie.


Depuis ce moment, l'Arétin ne prononça jamais le nom du Tintoret, et s'abstint de blâme aussi bien que de louange.

Mais la coterie du Titien et de ses amis demeura toujours hostile à Jacques Robusti ; c'est pourquoi il eut l'avantage sur son rival, sinon par le talent, du moins par le caractère.

Jamais le Tintoret ne cessa de professer une égale admiration pour le Titien et Michel-Ange, comme l'attestaient ces deux noms inscrits dans son atelier, pour rappeler aux jeunes gens les deux grands modèles que, selon lui, tout peintre ambitieux se devait proposer.

Cet hommage et cette justice n'apaisèrent point ses ennemis; et lorsque Sansovino acheva les belles portes de bronze de la sacristie de Saint-Marc, il y plaça, parmi ses figurines gracieuses, les têtes de l'Arétin et du Titien à côté de la sienne, et il oublia celle du Tintoret, dont, assurément, le voisinage n'eût point fait tort aux trois autres.

Au contraire, Jacques Robusti, dans ses compositions, se plut, avec une généreuse obstination, à reproduire souvent la figure du grand maître, dont il ne put jamais adoucir la rancune. »


Paul de Musset - Voyage en Italie

dimanche, 23 juillet 2006

La bougie


medium_la_anunciacion.jpgLa nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d'ombre.
Sa feuille d'or tient impassible au creux d'une colonnette d'albâtre par un pédoncule très noir.
Les papillons miteux l'assaillent de préférence à la lune trop haute, qui vaporise les bois. Mais brûlés aussitôt ou vannés dans la bagarre, tous frémissent aux bords d'une frénésie voisine de la stupeur.
Cependant la bougie, par le vacillement des clartés sur le livre au brusque dégagement des fumées originales encourage le lecteur, - puis s'incline sur son assiette et se noie dans son aliment.

Francis Ponge, Le parti pris des choses Gallimard 1942

Tintoretto, l'Annonciation