mercredi, 29 décembre 2021
Lent balancement de la houle, dans un ciel anis, déchiré par le cri des mouettes
Lent balancement de la houle, dans un ciel anis, déchiré par le cri des mouettes. Les minarets s’inscrivent en volutes sur l’horizon. Là, tout près, le cargo mugit, la fumée s’échappe à gros bouillons.
Gaétan n’a pas envie d’assister au départ, les mouchoirs agités qui s’envolent. Après trois semaines à Istanbul, l’idée de voyager sur ce bateau lui plaît. S’isoler, penser différemment peut-être...
C’est alors qu’elle apparaît. Jamais il n’a vu de visage aussi défait. Elle marche comme un somnambule. Au moment où il ouvre la porte de sa cabine, elle s’évanouit devant lui. Il la prend dans ses bras et la dépose sur le lit, se frayant un chemin parmi les bagages. Il devine un je ne sais quoi de très jeune en elle, pourtant elle a peut-être le double de son âge. Cheveux fins, visage rond, presque lunaire, une douceur asiatique dans les traits. Une savante construction de lignes, d’arrondis, en arpèges, tout autour.
Il a l’impression par son regard, sa position, d’une échappée fulgurante dans l’intimité de quelqu’un. Elle dort, le visage légèrement apaisé. Il ferme la porte, s’assoit à côté du lit. Impossible de la quitter des yeux. Les machines vrombissent. Le cargo, avec des passagers à bord, se dirige vers Marseille.
Raymond Alcovère, Le Sourire de Cézanne, roman, 2007, N&B éditions, début du texte
Illustration : Philippe Berthet
15:22 Publié dans Le Sourire de Cézanne | Lien permanent | Commentaires (0)
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