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vendredi, 12 août 2011

Poséidon, de Franz Kafka

Poséidon était assis à son bureau et comptait. L’administration de tous les océans représentait une somme de travail infinie. Il aurait pu avoir autant d’assistants qu’il aurait voulus, et il en avait beaucoup, mais comme il prenait sa charge très au sérieux, il recomptait tout lui-même, et ainsi les assistants ne lui étaient pas d’un grand secours. On ne peut pas dire que son travail le réjouissait, et il ne l’accomplissait à vrai dire que parce qu’il lui était imposé. Il avait déjà postulé souvent à des emplois plus joyeux (c’est ainsi qu’il s’exprimait), mais à chaque fois qu’on lui faisait différentes offres, il s’avérait que rien ne lui convenait mieux que son poste actuel. Il était aussi très difficile de trouver quelque chose d’autre pour lui. Il n’était bien sûr pas possible de l’affecter à une mer déterminée, car, sans parler du fait qu’ici aussi le travail comptable n’était pas moindre, mais seulement plus vétilleux, le grand Poséidon ne pouvait avoir qu’un poste de responsabilité. Et si on lui proposait un poste hors de l’eau, il se sentait mal rien qu’à se l’imaginer, son souffle divin s’accélérait, son buste d’airain vacillait. D’ailleurs on ne prenait pas ses plaintes vraiment au sérieux ; quand un puissant ne cesse de se lamenter, il faut essayer de faire semblant de lui céder, même dans les situations sans issue ; personne ne songeait vraiment à le suspendre de sa charge, car il avait été destiné depuis le début des temps à être le dieu des océans et devait le rester. Ce qui l’énervait le plus – et provoquait son insatisfaction à son poste –, c’était d’entendre parler des images qu’on se faisait de lui, comme celle par exemple où il conduisait sans cesse son char à travers les flots tenant son trident. Pendant ce temps-là, il restait assis au fond de l’océan et n’arrêtait pas de compter, cette activité monotone étant uniquement interrompue de temps à autre par un voyage à Jupiter, voyage dont il revenait d’ailleurs furieux la plupart du temps. Ainsi il avait à peine vu les océans, juste de manière fugitive lorsqu’il montait en se dépêchant à l’Olympe, et il ne les avait jamais réellement traversés. Il avait coutume de dire qu’il attendait pour cela la fin du monde, alors il y aurait bien un moment de calme où il pourrait encore, juste avant que tout s’achève et après avoir contrôlé son dernier compte, faire rapidement un petit tour.

21:58 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franz kafka

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