mardi, 26 mai 2020
Soit dit en passant, je commence à être fatigué de prendre des coups sur la tête
Pour les faits marquants de mon existence reportez-vous donc au Who’s’ Who. J’habite Finca Vigia, dans le village de San Francisco de Paula, à Cuba. Le travail ? J’écris là où je me trouve, à l’hôtel, dans ma chambre, sur une table de café, les premières heures de la matinée étant toujours les plus favorables. Debout à l’aube, je me mets au travail aussitôt. Black Dog, un épagneul importé de Ketchum, dans l’Idaho, dressé à faire lever le gibier, est le plus vigilant gardien de mes horaires. Trois chats l’assistent dans cette tâche, Boise A -, Friendless’s Brother, Ecstazy. Princessa, pur persan gris, m’a souvent été d’un grand secours ; elle est morte voici trois semaines. Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait si Black Dog ou Boise venaient à disparaître. Je me ferais une raison, sans doute, et tout continuerait comme avant.
Vers midi, je m’arrête. Je prends un verre et plonge dans la piscine. Après le repas, si le travail de la matinée a été assez fructueux pour me laisser la conscience tranquille, je m’offre une sortie en mer et passe l’après-midi à pêcher dans le Gulf Stream.
Dans ma jeunesse, je m’en souviens, je pouvais avaler n’importe quel bouquin. J’ai vieilli, les policiers m’assomment sauf quand ils sont de Raymond Chandler. Je lis surtout des biographies, des récits de voyages, à condition qu’ils offrent un certain caractère d’authenticité, et des textes consacrés à la science militaire. Qu’ils soient bons ou mauvais, vous n’aurez pas perdu votre temps et leur lecture vous apprendra toujours quelque chose.
Ces derniers temps, ce n’était pas une mince affaire que de dénicher des nouveaux romans qui ne vous tombent pas des mains. J’en ai lu quelques-uns, malgré tout. Cette rentrée, espérons-le, sera le signal d’une année plus faste. Je lis aussi le Morning Telegraph, si je le trouve, le New York Times et le Herald Tribune. Je suis abonné à trois publications françaises, à quelques hebdomadaires italiens, à une revue mexicaine, Cancha. Je lis la presse tauromachique lorsque mes amis espagnols songent à me l’envoyer. Je feuillette un tas de choses, depuis Harpers jusqu’à The Atlantic, en passant par Holiday, Field and Stream, Sports Airfield, True, Time, Newsweek, Southern Jesuit. Je lis aussi le Saturday Evening Post lorsqu’il publie un feuilleton d’Ernest W. Haycox, deux ou trois journaux cubains, quelques revues littéraires d’Amérique latine. Il convient d’ajouter à cette pile deux revues anglaises : Sport and Country et The Field.. N’oublions pas les quelques livres français que m’envoie Jean-Paul Sartre, et les italiens. J’en lis plusieurs tous les ans, parfois même à l’état de manuscrits, afin de repérer ceux qui me paraissent publiables.
Venons-en à la correspondance ; j’entretiens des relations épistolaires suivies avec un officier supérieur en activité, ainsi qu’avec un général anglais à la retraite que j’ai connu en Italie lorsque nous étions, lui et moi, beaucoup plus jeunes. J’ai, avec trois de mes amis, un échange de lettres régulier. Pour le reste, ce n’est que courrier professionnel ou administratif.
Je ne joue jamais, si ce n’est pour gagner.
Invités par Mary, maçons, peintres et plâtriers ont envahi la maison. Voilà un excellent prétexte pour passer le plus clair de mon temps en mer, en attendant que le calme revienne. Conséquence indirecte de ce qui précède, je me remets d’une mauvaise chute, sur un pont glissant un jour de mer démontée. Le résultat fut une vilaine blessure derrière la tête, un traumatisme crânien, une artère sectionnée. J’ai attendu cinq ou six heures avant de pouvoir être conduit à l’hôpital. Par bonheur, naviguant dans les parages, se trouvait Roberto Herrera, un vieil ami qui a fait cinq années de médecine. Alerté par nos signaux de détresse, il nous a rejoints en toute hâle. Aidé de Mary, il a pu arrêter l’hémorragie ; son frère José Luis a terminé le travail. Cette année encore, il me faut renoncer au ski. Il me reste la natation, la marche, la chasse, la pêche, et le travail. Autant de plaisirs que José Luis m’a vivement déconseillés.
Soit dit en passant, je commence à être fatigué de prendre des coups sur la tête. Ça a débuté en 1918 puis recommencé en 1944-1945 et je me garderais d’oublier deux blessures vénielles en 1943. Si j’ai le malheur de me plaindre, je m’entends répliquer que ces désagréments sont le résultat de mon imprudence. Rien n’est plus faux, pour autant que je m’en souvienne...
Hemingway, Autoportrait 1950
19:18 Publié dans Grands textes, Histoire littéraire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hemingway
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