samedi, 12 septembre 2009
Richard Bruston ou l'ordre gracieux de l'instant
Voici un article et une interview du photographe Richard Bruston, faits pour la revue Salmigondis.(n° 19)
L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Ces mots de Camus s’appliquent parfaitement à Richard Bruston. En trente ans de travail photographique, presque aucune exposition personnelle. Au contraire, il a multiplié les rencontres, avec d’autres artistes, écrivains, chorégraphes, dramaturges, philosophes, mais aussi hors du champ habituellement laissé aux artistes : Il s’est confronté à l’hôpital psychiatrique, aux maisons d’arrêt, aux publics en difficulté, à l’histoire. Et la notion du handicap est transversale à tout son travail.
Pour sa dernière grande exposition : “ Ils signent ”, il a fait rencontrer des écrivains et des personnes sourdes pour un échange unique. Aux personnes sourdes il était demandé de signer ce qu’elles ont d’important à nous dire que nous ne connaissons pas, de leur vie, de leur lutte, de leur dignité d’hommes et de femmes ; aux écrivains de traduire avec des mots ce qu’ils ressentaient et de livrer leur témoignage. L’image fait le croisement: le photographe saisit les mains du sourd en train de signer et les mains de l’écrivain en train d’écrire. Au final, 26 panneaux (autant que de lettres de l’alphabet) pour raconter ces rencontres, et une exposition forte, émouvante, un travail en profondeur.
En 1995 c’est “ Double miroir ” , autre pari difficile mais réussi : Richard Bruston demandait à des écrivains de s’interroger sur leur propre image. Côte à côte donc la photographie de l’écrivain et les mots qu’elle lui inspire. Mise en perspective étonnante. “ Le portrait résume tout de l’histoire d’une personne. On voit tout d’un visage, y compris ses zones d’ombre : le visage et son contraire (le retenu, le caché), ombre et lumière où cette dualité s’affronte. Pas un être n’échappe à ses contradictions, c’est une constante de l’humain. ”
La photographie est pour Richard Bruston cet instant magique où tout se concentre, un jaillissement, ce qu’il appelle “ l’ordre gracieux de l’instant ”. Et cet ordre gracieux, c’est toujours une lecture de l’autre.
Ø C’est très rare chez les photographes, tu n’a presque jamais fait d’exposition personnelle, mais beaucoup travaillé avec d’autres créateurs , pourquoi ?
Mes photographies ne sont pas égotiques. J’ai le “ moi ” en horreur, mon postulat procède de l’autre en tant qu’être radicalement différent. Ma quête est la recherche du vrai dans ce que je vis dans l’instant, c’est-à-dire ce qui m’est donné de voir, de sentir au moment du face à face (ce qui est montré et caché) et cela m’applique et m’implique dans mes couilles et mon cœur. A chaque fois, il s ‘agit d’épousailles réussies ou loupées. Je place très haut le collectif “ qui est au cœur de l’art lui-même ” selon le mot de Jaurès, c’est pourquoi j’aime se faire croiser toutes sortes de différences réunies par le biais de la photographie.
Ø Une des constantes de ton travail est ton voisinage avec les écrivains, quel rapport entretiens-tu avec l’écriture ?
Les écrivains se risquent par jeu avec talent dans la photographie. J’aime à faire avec eux un chemin où peuvent coexister l’écriture et l’écriture photographique. Je me sens toujours gratifié d’un quelque chose en plus. Leur compagnie m’enchante, j’aime être envahi, démoli par un texte. Je suis souvent en apesanteur avec l’écriture poétique. Sinon, mes seuls rapports avec l’écriture sont, banalement, intimes. Comme tout le monde, j’écris. Cela me différencie de l’écrivain.
Ø A regarder ton parcours, on s’aperçoit que tu as souvent travaillé sur la question du handicap ou avec les laissés pour compte de la société, milieux défavorisés, psychiatrie, maisons d’arrêts, sourds et muets, pourquoi ?
Les êtres en perdition sont vrais, ils ne jouent pas. Ils sont vrais comme leur visage, ils ne cherchent pas à paraître, face au gouffre de ce qu’ils vivent. Ils sont l’abîme même du verbe être. La société s’en moque éperdument. Qui d’entre nous s’intéresse à leur immense solitude (prison, psychiatrie) ? Idem pour le ghetto historique dans lequel vivent les personnes sourdes.
Ø Tu as souvent fait des portraits, qu’est-ce que ce travail a de spécifique pour toi, est-ce que tu l’affectionnes particulièrement, quel type de relation humaine est-ce que cela instaure entre toi et la personne ?
Le portrait résume tout de l’histoire d’une personne. On voit tout d’un visage, y compris ses zones d’ombre : le visage et son contraire (le retenu, le caché), ombre et lumière où cette dualité s’affronte. Pas un être n’échappe à ses contradictions, c’est une constante de l’humain. Ce qui peut arriver dans l’échange est unique, quelque chose comme un ordre gracieux de l’instant. J’aime le présent. Je n’ai pas envie de creuser plus, c’est mon côté superficiel.
Ø Tu fais de la photographie artistique depuis plus de trente ans, qu’est-ce qui t’a le plus marqué, de cette expérience ?
Mes rencontres, celles qui m’ont fait grandir à tous les âges de la vie, toutes mes non-rencontres aussi.
Ø Sur l’île déserte, quel(s) livre(s) emporterais-tu ?
La Bible et Robert Musil.
Photos de Richard Bruston ( 06 98 14 98 92)
00:15 Publié dans Photo | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : richard bruston
Commentaires
Je lis votre billet, juste après avoir appris la mort de Willy Ronis...
Écrit par : Chr. Borhen | samedi, 12 septembre 2009
Bonjour Mr Bruston, je suis actuellement en train de finaliser un mémoire pour un diplome inter universitaire sur l'autisme, mon sujet est l'utimlisation de la langue des signes pour communiquer avec des autistes.
J'aurai aimé utiliser une photo (en petit fomat pour ma couverture) que vous avez fait pour une exposition en 2000 "ils signent" face à face sourds et écrivains. La photo se trouve avec un texte de Maurice rambert. Me donnez-vous le droit de l'utiliser sachant qu'il n'y a aucune fin commerciale et que ce mémoire finira dans la bibliothèques des centres ressources austime Bordeaux, Toulouse et Montpellier. Je dois imprimer mon mémoire au plus tard samedi 28 Août.
Merci de votre réponse. Cordialement nadine Brunet
Écrit par : Brunet Nadine | mercredi, 25 août 2010
Bonjour, je transmets votre demande à Richard Bruston
Raymond Alcovère
Écrit par : Ray | mercredi, 25 août 2010
Réponse de Richard :
Chère Madame,
oui, bien sur, tant qu'à faire, mettez cette photo pleine couverture, pas timbre poste, voyez la force et l intelligence du regard, c'est cela qu' il nous est donné de recevoir:
Quand votre mémoire aura abouti, ayez la gentillesse de m'en informer, c'est avec plaisir que j'en prendrai connaissance.
Confirmez-moi la bonne réception de ce message et de ma suggestion.
Avec mes meilleures salutations.
Richard Bruston
Écrit par : Ray | vendredi, 27 août 2010
Vous avez un jour fait un portrait de Lydie Gabriac, une poètesse cévenole (La Coste de Gabriac) décédée depuis quelques années. Nous publions un extrait d'un de ses poèmes, dans un dépliant accompagnant une visite de Ste Croix: Chemin de Mémoires, Ste Croix des années 30. Nous aurions souhaité illustrer ces vers de la photo que vous avez réalisée. Pouvez-vous m'indiquer la marche à suivre et les conditions pour obtenir l'autorisation ?
Merci pour votre réponse. Cordiales salutations
Mémoire Vivante
04 66 44 73 63
Écrit par : Daloux Jacques | lundi, 07 juillet 2014
Bonjour
Vous pouvez contacter directement Richard Bruston au 04 11 19 05 73
Bien à vous
Écrit par : Ray | lundi, 07 juillet 2014
bravo salut Mec
Écrit par : durand j.olivier | lundi, 23 mars 2015
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