mercredi, 04 juin 2008
Les Greguerias, for ever
La forme brève invite paradoxalement à la lenteur. On y revient, on la savoure. Le texte court, par le peu de place qu’il occupe, n’envahit pas les pages ni l’emploi du temps. L’aphorisme, le trait, la maxime, légers, primesautiers en apparence, mais parfois incisifs comme un coup de poignard peuvent nous laisser sans défense en quelque sorte. Le court n’a pas bonne presse en Occident – rien de tel au Japon avec l’art du haïku – pourtant que serait-on sans La Rochefoucauld, Vauvenargues, Joubert ou Chamfort ?
Pas ou très peu de moralisme chez Ramon Gomez de la Serna. Les « greguerias » , écrites entre 1910 et 1962, sont plutôt du côté du clin d’œil, de la poésie, du merveilleux, elles ouvrent le regard, le transforment parfois…
Lorsqu’une femme se repoudre après un entretien, on dirait qu’elle efface tout ce qui a été dit
Pelez une banane, elle vous tirera la langue
Le problème avec l’hélicoptère c’est qu’il a toujours l’air d’un jouet
Les aboiements des chiens sont de véritables morsures
La lune baigne les sous-bois d’une lumière de cabaret
La bouteille de champagne a ceci d’aristocratique qu’elle refuse qu’on la rebouche
Les ailes des automobiles sont comme les moignons des ailes d’avion qu’elles auraient pu être
Le drapeau grimpe au mât comme s’il était l’acrobate le plus agile au monde
Lorsqu’une femme marche pieds nus sur les dalles le bruit de ses pas provoque une fièvre sensuelle et cruelle
Ne disons pas de mal du vent, il n’est jamais très loin
« Tuer le temps » est une rodomontade de bravache
L’histoire est un prétexte pour continuer à tromper l’humanité
Le crépuscule est l’apéritif de la nuit
Le poisson est toujours de profil
Le q est un p qui revient de la promenade
Le pire avec les médecins c’est qu’ils vous regardent comme si vous étiez quelqu’un d’autre
Les larmes désinfectent la douleur
Ramon Gomez de la Serna. Greguerias. Traduit de l'espagnol par Jean-François Carcelen et Georges tyras. Préface de Valéry Larbaud. Editions Cent Pages, 1992.
00:20 Publié dans Critique | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, ramon gomez de la serna, greguerias
Commentaires
J'ai beaucoup apprécié et je vais en resservir quelques unes, toutes chaudes. Bises.
Écrit par : ariaga | mercredi, 04 juin 2008
Quelqu'un se souvient-il de l'époque pas si lointaine où le journaliste Michel Cardoze qui présentait la météo sur je ne sais plus quelle chaîne concluait avec jubilation le bulletin par une citation de Ramon Gomez de la Serna en roulant bien les r et les yeux tandis que sa spectaculaire moustache en frissonnait de gourmandise. Moi qui n'écoute pas la météo, je ne loupais plus le bulletin de Michel Cardoze, juste pour Ramon !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | mercredi, 04 juin 2008
Elle est bien bonne celle-ci ! Je n'ai jamais beaucoup regardé la télé, parfois j'en viens à le regretter !
Écrit par : Ray | mercredi, 04 juin 2008
En tous cas, je me plais à imaginer la tête qu'ils devaient tirer dans sa hiérarchie lorsqu'il balançait du Ramon Gomez de la Serna dans le salon ou la chambre des téléspectateurs !
Écrit par : Christian Cottet-Emard | mercredi, 04 juin 2008
J'ai l'impression que ce genre de dérapages n'est plus possible aujourd'hui, sauf dans le domaine de la vulgarité qui a un boulevard devant elle (et ce n'est pas par hasard bien entendu !)
Écrit par : Ray | jeudi, 05 juin 2008
c'était sur quelle chaine , mais je ne regarde pas la télé , à tord apparemment , humm quel auteur ! me gusto mucho !
Écrit par : lam | jeudi, 05 juin 2008
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