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vendredi, 22 juin 2007

C'était selon

Les journées ressemblaient à des gâteaux gorgés de meringues et de cerises confites, avec la saveur acide d’un alcool fort ou douceâtre, c’était selon. Puis la nuit descendait son octave mineure. Et le jour nous réveillait de sa lumière crue, surnaturelle. Entre ces instants des millions de vies avaient défilé. Des milliers de vérités toutes simples, cachées sous les choses, maintenant en plein jour. Sa présence ou son absence était une certitude, installée en douce. Je me coulais dans ce rythme, ce va-et-vient. Chaotiques au début, l’habitude avait fini par me les rendre acceptables. J’avais eu quelques aventures au début, maintenant je n’y pensais plus. Je trouvais toujours des défauts aux autres qu’elle n’avait pas. Malgré nos points de désaccord, la tranquillité qui se dégageait d’elle, de ses sentiments, des miens, effaçait le reste. J’entrais doucement, sans faire de bruit, dans un autre âge.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", roman en cours d'écriture

samedi, 02 juin 2007

Ainsi le ciel

Le ciel était une lutte, un amas de lances, un combat fratricide. Ainsi le ciel. Une symphonie du nouveau monde ; même si c’est vers l’ancien que je me dirigeais. Terrifiante cette immensité sauvage - encore plus que la Sierra -, ces vagues gigantesques dans le désordre de la nuit, ces remous effrayants, terrifiante et rassurante à la fois avec le bruit continu du bateau, les odeurs de machines, ce bloc de métal monstrueux, fumant et rugissant, traçant son sillon imperturbable à travers les flots déchaînés. Je me prenais à rêver que mon âme était pareille, un bloc insubmersible. J’assistais à un ballet de fin du monde, une danse macabre des éléments ; plaisir redoublé par le sentiment de sécurité, sur ce bâtiment qui fendait la mer, sourd aux hurlements de la tempête.

Extrait de "Solaire", Raymond Alcovère, roman en cours d'écriture

samedi, 26 mai 2007

La rose est sans pourquoi

0af756444bc3730f4b8a77ccfabe6dc1.jpgPourquoi une histoire ? La rose est sans pourquoi. Le vent s’est calmé. L’air ici à Montpellier est doux comme le printemps, perpétuel. Là, tout près, la Méditerranée, celle d’Homère, des débuts. Je la sens qui frémit, les vagues frissonnent, caressent le sable, ces millions de grains, ces coquillages qui lentement s’amenuisent, se dispersent, reviennent.

Extrait de "Solaire", Raymond Alcovère, roman en cours d'écriture

Triptyque de Jean-Louis Bec

lundi, 14 mai 2007

Ils n’en veulent plus de la lecture !

medium_mustbetheplace.2.jpgJe fis aussi la connaissance de Roch. Ancien musicien et maintenant écrivain. Très secret, d’une intelligence foudroyante. Le personnage le plus  étonnant et le plus atypique que j’ai jamais rencontré. Il ne quittait pratiquement jamais Montpellier. Depuis une dizaine d’années il avait abandonné toute activité sociale. Une écriture précise, profonde et désabusée. Chacune de ses phrases pouvait se lire de mille façons, en contenait d’autres.  Devenu très ami avec Guilhem, je me mêlais à leurs conversations, avec l’impression qu’on devenait des conspirateurs : « Ils n’en veulent plus de la lecture, pas rentable, quand tu lis un livre, tu sors du système, la seule chose que tu développes c’est ton esprit critique, dangereux ! tu ne consommes plus, tu bloques la machine ! Au contraire, tout est fait pour divertir en permanence, abreuver les gens d’images, désagréger toute forme de pensée. Regarde l’éducation, l’école, l’apprentissage de la lecture, ils sont en train de tout casser, pour faire de nous des consommateurs, disponibles, obéissants ! ».

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", roman en cours d'écriture

Image de Roy Lichtenstein

vendredi, 09 mars 2007

Carnets indiens, avec Nina Houzel (33)

medium_DSCN4823.JPG"L’individu n’est rien, l’allégresse du matin est tout"

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", texte en cours d'écriture

Photo de Nina Houzel

vendredi, 02 mars 2007

Des rêves d’Orient

medium_ABSTRAIT-CREATIONS_16_.JPGIl y a deux plaisirs dans le Midi, la plage en hiver et le cœur des villes en été. Écrasées par la chaleur d’août, endormies, on peut saisir leur substance, le rythme des pierres, s’y promener sans se presser, ne penser à rien, seulement des notes de musique en tête, ou un désir d’architecture. Les rues vides, tout souci de rendement a disparu. Les villes du Sud redeviennent les cités antiques qu’elles n’ont jamais cessé d’être. Des rêves d’Orient.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", texte en cours d'écriture

Photo : Gildas Pasquet

mercredi, 28 février 2007

Sur la route

medium_ACOTE.NB_5_.JPGJe suis serveur dans cet hôtel, logé, nourri. Venu ici à cause d’un livre, Sur la route, de Jack Kerouac, peut-être à cause de l’arrivée au Mexique, vers la fin, qui ressemble un peu au paradis. Un jour j’ai eu envie de partir. J’ai pris le train, le bateau, l’autocar, fait du stop. Comme dans le livre, tout peut arriver et tout arrive d’ailleurs, d’un instant à l’autre, du noir désespoir au bonheur absolu. Tout ce dont on peut rêver à dix-huit ans, là, à portée de main. On passe à travers les villes, les pays, comme une étoile filante, de vagues ombres se profilent, on aperçoit des reflets, des lignes se dessinent, furtives. Il est trop tôt pour s’arrêter, on est parti pour savoir comment était fait le destin, en explorer les contours. Le jeu est dangereux mais on ne le sait pas encore, ou on en rêve secrètement.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", texte en cours d'écriture

Photo : Gildas Pasquet

samedi, 17 février 2007

Peut-être avais-je atteint

medium_DSCN4902.JPGPeut-être avais-je atteint cet état mystérieux, insondable, ce trouble léger qu’on appelle bonheur. Cet état, cette limite plutôt qui était ma quête, que j’étais venu chercher ici au bout du monde, que tant d’autres avant moi avaient poursuivi et si peu atteint, cette fêlure dans le réel qui fait oublier la rumeur des jours pour nous plonger transis dans une extase fragile et passagère que l’on cherche à recréer sans cesse sans y parvenir souvent.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", texte en cours d'écriture

Photo : Nina Houzel (Rajasthan, désert du Thar)

jeudi, 15 février 2007

Un matin...

medium_DSCN4940.JPGUn matin, dans cet état de béatitude et de légèreté un peu irréelle quand je viens de terminer un dessin dont je ne suis pas trop mécontent, avec cette envie de ne penser à rien, d’écouter les gens parler, leur voix rauque - et tous ces siècles d’histoire qu’elles charrient - de regarder le soleil se lever sur la Sierra, le vent soulever la poussière des rues vides, de laisser l’amertume de la bière me brûler la gorge, d’écouter un disque de John Coltrane, bref d’être heureux comme un oiseau au vent du matin - le moment le plus accompli, celui où la fatigue se mêle à l’allégresse, au sentiment d’avoir donné le meilleur de moi-même - , il me restait à faire l’ouverture du café avant de me coucher, quand là, de son pas léger, sa démarche souple, avec ses gestes qui coulaient dans l’air, sa grâce et sa beauté qui ondulaient jusque dans ses cheveux, elle est entrée.

Raymond Alcovère, extrait de "Solaire", texte en cours d'écriture

Photo : Nina Houzel (Rajasthan, désert du Thar)