jeudi, 31 août 2006
Dérives sur le Nil
Il observa l'ombre au-delà du pont, y vit une énorme baleine qui s'approchait silencieusement de la péniche. Ce n'était certes pas ce qu'il avait vu de plus étonnant dans le Nil à la tombée de la nuit. Mais cette fois-ci, l'animal ouvrait une gueule immense, comme s'il voulait engloutir la péniche...
La conversation se poursuivait sans qu'ils attachent de l'importance à sa vision. Il décida donc d'attendre la suite des événements sans s'en faire. Mais, soudain, la baleine s'arrêta et cligna de l'oeil en disant: "Je suis la baleine qui a sauvé Jonas." Puis elle recula et disparut. Anis se mit à rire, et Layla Zaydan lui en demanda la raison. Il répondit, évasif:
" D'étranges apparitions...
- Et pourquoi ne les verrions-nous pas nous aussi? "
Il rétorqua, sans cesser de s'activer:
" C'est parce que, comme disait le grand cheikh, le distrait n'arrive jamais à rien.
- Pas de cheikh pour nous, espèce d'imposteur!
- Il n'y a pas un mètre carré de terre au monde qui soit à l'abri des séismes!
- Qui ne manque pas non plus de musique et de danse!
- Si tu veux vraiment rire de bon coeur, contemple la terre d'en haut.
- Heureux ceux qui sont en haut!
- Mais avec la nouvelle loi des finances, les esprits vont s'apaiser.
- La loi s'applique-t-elle aussi aux animaux?
- J'ai bien peur qu'elle ne s'applique d'abord aux animaux...
Naguib Mahfouz Dérives sur le Nil, chapitre 3.
06:56 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mahfouz, nil, egypte