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vendredi, 03 avril 2015

Tranches napolitaines

napoli-palazzo-dello-spagnuolo-cortile-600x397.jpgJ’ouvre la fenêtre ; une lumière tamisée ondule en arabesques sur les collines et les maisons chaulées. Vert paradis, univers de sensations. La lumière pénètre en moi, flots de langueur, rosée qui me baigne, me submerge. Fenêtre grande ouverte, lumière ombrée, descendante. Languide, sucrée. Un amour insensé coule à flot, je suis arrachée par cette vague lourde et trépidante. Avec l’odeur de la nuit, je me retrouve.

Bord de l’eau, vie neigeuse et azurée de l’écume, reflets fauves de la végétation en taches rousses sur le poli de l’eau, ondulant en papillotes de feu. Pins parasols, flaques mauves dans les eaux brunes de la baie, air tiède, fragrances marines. Sommeil enchanteur, réparateur.

Réveil incertain, bleuâtre. Soleil tonitruant, écrasant, irradiant. Légère indolence, l’air a changé de saveur.

Infinie douceur de l’été, rivages lointains de l’enfance, envie de les retenir un peu, mais ils s’éloignent, horizon bleu. Restent des fanaux qui clignotent. Tous ces souvenirs remontent, lent reflux, indigo de la mer. Pendant ces quelques jours, je n’attends rien, ne m’attends à rien. Marches sur l’île, odeurs de sauvagine, bleu pulvérulent de la Méditerranée. Sur un îlot, hors du temps.

Sur le bateau vers Naples, par Pozzuoli, Gaète, Cumes, traversée de l’antiquité... La route tournoie et s’enroule comme un serpent, avant de se lover dans le chaudron. Voitures, bruits, odeurs, fournaise, pantomimes, vitesse. Jamais je n’ai senti une telle envie de vivre dans les regards, les gestes des gens, cette passion, l’insouciance. La saison du San Carlo n’est pas commencée. La Galleria Umberto I, voûte tournante, en forme de croix, monde à l’intérieur du monde. Pâtisserie Scaturchio, face à San Domenico, délires sucrés, florilège de saveurs, meringues neigeuses, icebergs de sucre, mûres pulpeuses et boursouflées, fraises fondantes acidulées, pistaches croquantes, abricots blonds veloutés, melons confits, fines lamelles d’amandes, fleurs d’oranger aux saveurs aériennes, marrons glacés...

Spaccanapoli. Merveilles du baroque, les escaliers de San Felice, le bien nommé. À l’image de la ville, vastes, ronds comme des coquilles, tournoyants, espace perdu mais peu importe, beauté, rondeurs, plaisir... Les églises ressemblent à des bonbonnières, des biscuits, écrins parfumés, bariolés, lardés de marbre, de stucs, blancs, écrus, roses, verts, pendeloques, niches, tableaux, gris-gris, tout est fait pour que l’esprit chavire, se perde. Ici les plus belles choses sont cachées, les napolitains préfèrent les garder pour eux. Souvent rien ne signale l’entrée d’une cour superbe, d’un escalier virevoltant, d’une église étincelante. Sans doute un des secrets du bonheur, vivre caché...

L’art à Naples n’est pas séparé de la vie, tous ces édifices sont habités, occupés, une statue soutient un fil à étendre le linge, dans cette cour des vespas sont entassées. Invasion rassurante, au contraire de ces villes-musées, léchées, sans aspérités, froides. Commerciales.

Rien de plus étranger aux napolitains que le rendement, l’efficacité. Les glaces qu’ils ont inventées, ils ont laissé aux milanais le soin de les commercialiser, de s’enrichir. Le plaisir de l’instant l’emporte sur tout.

Ciel d’une limpidité infinie, sans nuages. Jours vides, comme si rien ne pouvait être révélé, bains de mer, repos, attente. Sommeil, sommeil profond. Je n’aimerais pas qu’il dure, ce ciel si bleu, si pur. J’ai envie de temps menaçant maintenant, instable, l’esprit y a plus de latitude. J’aime un ciel en mouvement, où l’âme erre, battue par les vents, sans trouver sa place, comme ces nuages qui défilent, chiens pris de folie.

Rien à faire, toujours ce soleil, insatiable.

J’aime regarder les napolitains. Un mystère, une harmonie indéfinissable règnent dans ce peuple, un mélange de cruauté, d’indolence, d’énergie et d’abandon. La ville est rebelle, irréductible aux lois, aucun pouvoir n’a pu la mettre au pas longtemps.

Bains de mer, parfum de jasmin qui flotte sur l’île, senteurs plus entêtantes des géraniums. Odeur du soleil sur la peau, cette sensation de brûlure inonde le corps tout entier.

En attendant, promenades dans Procida, figues de barbarie, pétunias éclatants, odeurs de mimosas, de genêts, frémissement de tout le corps.

Ça y est, le grand jour est arrivé, l’aliscafo fend les flots, bondit sur les vagues. Je laisse le reflet de l’eau me brûler les yeux, la fraîcheur irradier mes poumons. Le Vésuve apparaît en statue du commandeur, avec les fumées d’usines à ses pieds, un halo blanc dans le ciel pâle. La ville déborde la baie et les collines alentour. Une chaleur aiguë jaillit dans ma poitrine, mon ventre, ma peau nourrie de soleil, caressée par les embruns.

Naples surgit, tapie contre la mer et semblant s’en repaître.

Taxi pour la Mergellina...

Le kaléidoscope défile, bariolé, vibrionnant, gestes coupés par la vitesse, visages scandés, couleurs qui suivent de leur cortège le taxi fendant la ville.

Ça y est, la Mergellina, bourdonnante de bateaux, le bleu de la mer est limpide, presque évanescent, couche parfaite de bleu, tranche napolitaine, féerique. Je suis plongée dans les couleurs, assise, paisible, l’âme secouée, les yeux fixés sur le lointain du port.

Sous un micocoulier, les feuilles vert-pâle se trémoussent dans un bruit d’orgues puis lampées plus basses, fondantes, andante avec cette rafale ardente, pianissimo vent coulis, trémulement des frondaisons, poussées plus lascives des basses encore par les côtés, se laisser bercer, musique qui revient et ne s’arrête jamais, roulis de cloches, coulée mauve dans le crépitement du soleil, ondoiement sonore en diagonale se faufilant entre les maisons, lignes croisées qui se brisent, parterre de roses roses devant moi, feu sous le soleil, balancement léger, vivifiant.

La musique, c’est le sang dans mes veines ! J’écoute La Bohème de Puccini. Transportée, je suis la musique, cette voix qui taraude l’âme. Mon âme filtrée par l’émotion, lavée, défaite des mesquineries, des incohérences qui l’envahissent à tout instant. Je vole par-dessus la ville, le cratère du Vésuve, gouffre béant, vire, dessine des courbes. Pareille à la chaleur du soleil, l’émotion qui me nourrit s’insinue partout.

Silence, contrepoint à l’agitation des dernières heures. Arrivée au port. Lent balancement, quiétude, vague clapotis de l’eau. Respiration, à peine... Marche éthérée, les rues sont noires de monde, il y a comme une beauté essentielle dans les gestes des gens, venue du fond des âges, la finesse grecque...

L’agitation en moi s’est reposée. Je ne pense à rien, c’est bon de s’abandonner... Embrasement soudain. Je suis transie de désir. Désir voluptueux et en même temps sérénité. Sens électrisés. Nuit de caresses, ondes de plaisir. Parcourue, débordée. Mon esprit flotte au-dessus de la pièce. Moment où tout est facile, donné.

Béatitude enivrante. Ma vie, si calme pendant longtemps, a pris une brutale accélération.

La nuit est douce encore, les bruits de la ville feutrés par un vent sec qui les emporte loin et se faufile entre les rues, sous un ciel noir paisible, et sculpte des grottes de silence dans la nuit noire.

On est allés au Musée National, voir les fresques de Pompéi, les statues antiques. Assis sur des marches, deux hommes en train de parler. Avec émotion, passion. Ils n’ont pas l’air d’intellectuels. Partout les gens parlent ici. Ce n’est pas cette parole froide, distancée des pays du Nord. Au contraire, il y entre tout l’être, son histoire, ses désirs, sa passion. J’aime cette parole qui tisse la vie.

Départ pour la côte amalfitaine. Echancrures dorées, précipices vertigineux sur une mer d’opale. La roche comme une pâte dessine des courbes, des replis. Sur les crêtes des villages comme des défis à la mer, perchés. De là-haut elle paraît presque irréelle, paisible. Le vent du large vient se frotter aux arêtes dentelées de la presqu’île. Végétation paradisiaque, orangers, citronniers face à l’immensité bleue.

Positano et les rochers des sirènes. C’est ici qu’elles vivaient. De n’avoir pu attirer par leurs chants Ulysse et ses compagnons, elles se sont jetées à la mer de désespoir. Leucosia aux bras blancs a échoué sur la plage de Paestum, Ligeia la mélodieuse en Calabre, Parthénope, celle qui est restée vierge, ici. Naples y trouve son origine.

Retour dans la ville chaudron. Santa-Chiara. Bois d’orangers, végétation grimpante, bancs en quinconce recouverts de majoliques, florilège de scènes de chasse, pêche, vie quotidienne, ou mythologiques. Luxe et raffinement. Pas d’austérité, au contraire, dans cette vie recluse. La sensualité ruisselle. Un calme apaisant, de hauts murs protègent de la ville et de sa rumeur... Cette ambivalence du plaisir et de la claustration est bien napolitaine, stendhalienne même !

Hauteurs de la ville encore. Une fine poudre de nuages, légers comme l’air, stagnent suspendus au-dessus de la côte. Tout est arrêté dans la chaleur de midi, les heures contraires, celles du crime.

Procida est un joyau posé sur la mer. Seule la fraîcheur de l’eau fait oublier un moment la bouillante étuve. Chaleur de septembre. Aujourd’hui rien n’annonce l’arrivée de l’automne.

Raymond Alcovère, extraits de Fugue baroque, roman, n & b éditions, 1998

mercredi, 09 décembre 2009

Cette sorte de miracle

3085926697_06ff89d049.jpg"- Le baroque, c'est justement ça, travestir la réalité, la mettre en scène. Le baroque c'est la peur de l'ennui, de la platitude, c'est l'outrance, la grandiloquence. Pour défier la vie, sa sécheresse. Le baroque c'est toute une vie d'un seul regard, d'une seule caresse, c'est magnifier les sentiments, leur donner la plénitude, oublier la raison, la mesure, retrouver la vraie vie, son intensité, sa folie. C'est l'Orient, la faconde. Un instant saisi au vol, la grâce de la pierre qui saisit la fluidité de la vie, cette sorte de miracle !"

Raymond Alcovère, extrait de Fugue baroque, roman, n & b éditions, prix 98 de la ville de Balma

mercredi, 18 novembre 2009

Les deux !

louise_brooks.jpgL’art baroque — peinture et musique — qu’il faudrait d’ailleurs appeler l’art catholique, passe volontiers, on le sait, du sacré au profane sans contradiction : « Le plus souvent, on feint hypocritement de s’étonner d’un paradoxe irritant : Vierge Marie d’un côté ; prolifération voluptueuse de l’autre. Remarque de bon sens, donc de très courte vue. C’est  précisément à cause de l’Une qu’on obtient les autres. Titien ou Rubens auraient trouvé dépourvu de sens qu’on leur demande de choisir, de se limiter, de s’en tenir à la Vierge  ou à Vénus. Les deux, chers puritains, les deux ! » (Philippe Sollers, Eloge de l’infini).

Photo : Louise Brooks

vendredi, 07 novembre 2008

Artemisia Gentileschi

456px-ArtemisiaSelfP.jpgRemarquablement douée et aujourd'hui considérée comme l'un des premiers peintres baroques,  l'un des plus accomplis de sa génération, elle s'impose par son art à une époque où les femmes peintres ne sont pas facilement acceptées. Elle est également la première femme à peindre l'histoire et la religion à une époque où ces thèmes héroïques sont considérés comme hors de portée d'un esprit féminin.

Autoportrait

Plus d'infos ici

mercredi, 23 juillet 2008

Le baroque, toujours

1428137804_924b32eef0.jpgtorinosanlorenzo.jpgSan Lorenzo, à Turin

mercredi, 24 octobre 2007

Baroque, vous avez dit baroque ?

"Et si la beauté" est de retour ; Allegria !

20:50 Publié dans Baroque | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Bona, baroque

jeudi, 27 juillet 2006

ô baroque eucharistie de Naples !

medium_napsgregorioarm.2.jpgLe "mange et bois" est un tourbillon de délices dans une coupe de cristal : un pot pourri de parfums et de matières qui affolent papilles de la langue et pupilles de l'oeil. C'est l'art baroque à l'estomac. Confectionné sous vos yeux, selon la chaleur, votre faim, votre soif ou votre caprice du moment : un garçon vêtu de blanc vous offre une palette multicolore, et avec lui vous bâtissez la plus vertigineuse pyramide. Mûres, fraises, pistaches, abricots, amandes écalées, émincées et grillées, jet de cerise liquoreuse, traversin de gâteaux meringués et imbibés de fleurs d'oranger et de cet alcool que distillent les sorcières de Bénévent, la Strega, cerceaux de marrons liquéfiés, le tout piqué de fruits et de légumes précieusement confits, nimbé de crème saupoudrée de chocolat amer qui coule de la coupe sur vos doigts et monte sous votre nez. Mangez et buvez : ô sublime, généreuse, liquide et craquante, brûlante et glacée, mouvante, ô baroque eucharistie de Naples !

Jean-Noël Schifano

San Gregorio Armeno, Naples 

16:05 Publié dans Baroque | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Baroque, Naples, Schifano