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mardi, 30 juin 2009

Latérite, de Jean-Jacques Marimbert

medium_100_0023.jpgJe me disais, n'y va pas. Tu n'en reviendras pas, trop loin, de tout, de tes mots, de tes chemins. Tu cours les yeux fermés, n'y va pas. Je me disais aussi : ce sont des chemins trop anciens, beaucoup trop, tu vas t'y casser le nez. D'un haussement d'épaule j'ai fait le fier, celui qui a lu Conrad, Bouvier ou je ne sais qui, quand je dis lu, bouffé oui, vite mâché, sans voir que le fil tendu entre les pages me piégeait, me ligotait les pieds. N'y va pas. Tu n'es pas bien ici ? La Garonne, les briques, le tremble au fond du jardin, trois oiseaux, le puits, tari mais un puits, des iris, l'été finissant. Je n'en ai fait qu'à ma tête. Partir, le verbe a toujours bourdonné, partir. Filer. Vers quoi ? qui ? Un nom, une sonorité, l'ombre d'un nid, le cri d'une chouette : Cotonou. N'y va pas. Reste et rêve, si tu veux, c'est mieux, tu arrêtes tout quand tu veux, tu fermes les yeux et repars quand tu veux ; mais une fois quitté ici, une fois là-bas -- je n'ose même pas t'imaginer là-bas -- que feras-tu ? C'est décidé : tout noter. Ce refus de sauter, je le note. Cotonou. Tu t'attaches trop aux sons. Tu es matérialiste, dans ton genre. Pour un vieux, c'est douteux. Poésie à trois sous, un enfant aurait honte, rirait de toi. Justement, enfant, tu n'es qu'un enfant. Tu m'avais déjà fait le coup. C'est à peine si tu savais lire... Himalaya et hop, tu t'étalais en plein ciel, te vautrais, tout blanc, et l'écho, plus tard tu disais que l'écho habitait le nom comme une  salle vide. Himalaya, un cri lointain et long écho, i...a...a...a..., sur à-pic blancs, rochers pointus, turlututu ! Pareil avec Istanbul, Valparaiso, Médines et des tas, des tas de villes. Même pas. De la musique ? Rien que de la musique ? Tu as beau accélérer le pas, tu vas rater l'avion, il le faut. Tu sais rater un avion, tu l'as déjà fait, tu les as tous ratés jusqu'à présent, alors un de plus... Tu peux tirer ta valoche, pas usée par les soutes des longs courriers, ça non ! Et puis tu es vieux ! Penses-y : dans trois fois rien septante ! Avant, passe encore, brin de folie, le regard vacillant devant une photo, nez collé à la vitrine d'une agence de voyages, cocotiers, paquebots, châteaux forts, casbahs, ces noms, même pas les lieux, les noms. Une vraie collection sur tes cahiers, pas classés, au hasard. Preuve, tu n'as jamais été bon en géo. Mais qui te parle de géographie ? Je veux seulement savoir ce qu'il y a dans ce nom. C'est la terre qui importe. La terre ou la Terre ? La géo c'est de la couture, voyage immobile sur un bâti, et moi je désorganisais, je glissais toujours au-delà des faufils, longs pointillés pour préparer la guerre, on connaît, ailleurs c'était mieux, et une fois là, je prenais n'importe quelle route, une ligne de dénivelé, un fleuve, j'évitais les villes, je sautais les reliefs, je planais sur les Océans ! La Terre. Tu fermais les yeux, tu disais : "la Terre !" Un enfant,  ça se comprend, mais tu as mal aux os, arthrose, tu craques de partout, tu oublies... La terre m'a toujours ému. J'aurais aimé être vigie et crier "Terre !" après des mois de mer, de solitude, de soleil à n'en plus pouvoir. C'est ton côté stylite ! Grimper à la grand'hune du monde et rêvasser, faire d'un nid de pie ton territoire, ta patrie, à deux pas du divin pour ainsi dire. "Terre !" Libération ! Déflagration ! La mer est là, le ciel immense, quel vent!, naseaux salés, tout tangue et roule, "Terre !" L'air expulsé, jusque-là confiné par un coup de glotte tétanisé, précieux viatique en vue de ce seul moment où libéré il te coupe le sifflet ! Avec la mer, mouillé, avec le fer, feu. Mais terre, c'est solide, le sol tremble sous le talon, juste avant la douceur de l'air, à poumons fermés. Souffle inouï, d'emblée scindé, sifflé, empêché, murmuré, rauque. Air vague ou tassé, feulé, toujours teinté, aux couleurs du temps. L'air du temps, voilà la terre, rouge ici, brune, ocre jaune, noire, pâleur de nacre au fond d'un ravin, et c'est de l'eau qui coule, irrigue, inonde, recouvre. Et sous le terre, terre encore, tôt ou tard enfouie, tassée, aussi noire que lait dessous, là où tout se joue, tes os, dans le secret des odeurs musquées, d'invisibles copulations moléculaires au hasard d'ondulations symphoniques, déplacement mathématique des astres. N'y va pas. Tu rentreras déglingué, perclus de symptômes bizarres dont personne ici ne saura quoi te dire. Croûte latéritique des régions tropicales, alumine, oxyde de fer. Latérite, sang de brique d'où sourd l'humide ambiguïté, le bois parfait, totémique. N'y va pas. À Cotonou, tu ne connais personne. Justement. Tu te vois en Afrique ? Désert, ou bien indescriptible fouillis végétal et humain, au choix ! Entre les deux, des zones inclassables, des acacias avec des épines grandes comme ça, à peine de bois tordu, pâle, calciné par le sable, pour faire cuire des riens, quelques chèvres, un puits tous les..., des chameaux qui se dandinent en blatérant ! Toi tu veux aller plus loin, encore plus loin, là où tout est enchevêtré, inextricable ? Il paraît que tout pousse à une allure folle, que l'humidité, parlons-en, l'humidité n'est pas qu'un mot ! Et ça grouille, bestioles, insectes, racines, les villages bouffés au termites, les enfants faméliques, les yeux traversés de filaires et... Qu'est-ce que tu me chantes ! Je tire ma valise. J'emporte trop de trucs. À tous les coups je vais avoir un excédent de bagages. N'y va pas. J'ai peur. Ouf ! De justesse, la voilà dans la file sur le tapis roulant. Toujours glacé, ces aéroports, illisibles ces billets d'embarquement. Monde fou. Si j'avais pu y aller en bateau ! Porte 48, immédiat. Il fait un froid de canard dans ce coucou ! Une revue, papier glacé, dossier sur la Suède, je sors mon pull et ma carte : Afrique de l'Ouest. Je regarde cette épaule de l'Océan et ne vois rien. Lanières multicolores des pays découpés dans la chair, galons d'une uniforme de carnaval. C'est bon, on vole. La clim' me fait claquer des dents. Toute la nuit comme ça ! Le plaid est minuscule, on va finir gelés. Vers l'avant, un écran muet où s'agite une fille et un gars qui s'engueulent, non, ils rigolent, ne savent pas ce qu'ils veulent, je mets le casque, anglais, j'appuie, allemand, le fil se débranche, ils s'embrassent à bouche goulue, ma voisine sors un masque de décontraction, il fait de plus en plus froid. Je cale mon regard entre Togo et Nigeria, fais le Yo-Yo du nord au sud, accroche çà et là des syllabes vides, rejoins le sud, l'eau, Cotonou, bleu atlantique, ocre béninois. L'atmosphère se stabilise entre vibration et relative apesanteur. Je me lève pour dérouiller mes poulies, manque rester pour l'éternité dans le cercueil des toilettes, décide de dormir jusqu'aubout du voyage. L'écran est mort. Ma voisine est livide, légèrement bleutée. Ici et là, des corps affalés. La carlingue fonce dans la nuit. Je sonne l'hôtesse, superbe métisse type antilope. Je finis par somnoler en suçotant un armagnac parcimonieux. Plus que six heures ! Une ribambelle hétéroclite d'impressions, des images par vagues molles cheminent derrière mes paupières. Je recompose à tâtons l'itinéraire qui m'a mené à ce siège étroit, dur, inconfortable. La pêche est maigre. Toujours revient une fascination ancienne, indatable, détachée de tout souvenir d'enfance, cependant étrangère à aucun. Un mélange pâteux m'envahit, où germe, incertaine puis évidente, la nécessité de ne pas mourir sans avoir vu la Côte des Esclaves.

Latérite : Jean-Jacques Marimbert (texte paru dans la revue L'instant du Monde).

Peinture de Bona Mangangu

lundi, 29 juin 2009

Paroles...

"Ce pour quoi nous trouvons des paroles, c'est que nous l'avons dépassé."

Nietzsche, Crépuscule des idoles

15:54 Publié dans illuminations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nietzsche

Frédérique Azaïs-Ferri expose à Villeneuvette

IMG_8784.jpgVilleneuvette, salle municipale, du 2 au 8 Juillet 2009. 
Frédérique vous invite à venir découvrir ses dernières toiles, ainsi que ses peintures sur bois: "Fragments d'Histoires" et autres, 
sans oublier un travail sur papier : "Les Zazaïlles". 
Le vernissage aura lieu samedi 4 Juillet à 18h. 

Frédérique Azaïs-Ferri 
04 67 87 54 56 
06 87 27 62 91 
 
http://frederiqueazais.hautetfort.com  
"De Glace et de Feu" Toile 

jeudi, 25 juin 2009

Une pause de quelques jours

DSCN5127.JPGPour cause de panne d'ordi, à très bientôt

Lionel André (pastels gras sur papier et photographie , juin 2009)

16:21 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lionel andré

La Rose de java

41923Y9CGPL__SL500_AA240_.jpgUn bon vieux roman d'aventures, dans les mers de Chine - on serait presque chez Conrad. L'action se passe en 1919 ; deux jeunes aviateurs français viennent de finir la guerre en Sibérie, ils atterrissent au Japon et embarquent vers Shangaï sur un vieux cargo délabré (l'image proposée par Folio est complètement à côté de la plaque, ont-ils lu le livre ?). Bien sûr et contre toute attente, il y aura une femme à bord, forcément sublime et au passé trouble, des trafiquants d'arme sans foi ni loi, un climat pesant, beaucoup d'alcool consommé, mais bon l'intrigue tient la route, Kessel sait de quoi il parle, sans langue de bois, et en dehors de la construction romanesque qui n'est que l'ossature, tout cela sonne juste et se lit d'une traite.

Joseph Kessel, La Rose de Java, Folio

mercredi, 24 juin 2009

Comme un miroir brisé

3175459100_880191055f.jpgspaceball.gifLa vérité est sur la terre comme un miroir brisé dont chaque éclat reflète la totalité du ciel.
Christian Bobin, Ressusciter

Lettres à Van Rappard, par Vincent Van Gogh

van-gogh-vincent-the-olive-trees-1889-2802925.jpg«Ce qui subsistera en moi, c'est un peu de la poésie austère de la bruyère véritable.»

Lire l'article ici

Van Gogh, Les Oliviers, 1889

00:12 Publié dans Peinture | Lien permanent | Commentaires (3)

mardi, 23 juin 2009

En dehors de toute convention

9782070368082_1_75.jpgIl est des hommes, lorsqu'on les aborde, avec lesquels les approches, les temps morts qu'exigent à l'ordinaire les règles de politesse,  n'ont pas de sens, parce que ces hommes vivent en dehors de toute convention dans leur propre univers et qu'ils vous y attirent.

Joseph Kessel, Le Lion

lundi, 22 juin 2009

Voix sans vibration, résonance ni timbre, voix neutre, clandestine, et en quelque sorte silencieuse

kessel-moral.jpgC'est alors seulement que je remarquai la façon singulière dont parlait Patricia. Jusque là, son personnage et son comportement avaient tenu mon esprit dans une espèce de stupeur. Mais à présent, je m'apercevais que la petite fille usait de sa voix à la manière des gens qui n'ont pas le droit d'être entendus quand ils s'entretiennent entre eux : les prisonniers, les guetteurs, les trappeurs. Voix sans vibration, résonance ni timbre, voix neutre, clandestine, et en quelque sorte silencieuse.
Joseph Kessel, Le Lion

 

dimanche, 21 juin 2009

L'Annonciation, vue par Philippe Sollers

annonciation4_copy.gifL’Archange Gabriel à la Vierge Marie : « Ecoutez, vous allez concevoir, venant de Dieu, un lapsus mémorable. » - « Quoi ? » - « Pas un organe, un homme. » - « Pas possible ! » - « Vous n’acceptez pas ? » - « Si, si ! » -  « Vous serez rétribuée par une superbe Pietà, je discerne dans l’avenir l’artiste qui la sculptera, cadavre exquis de votre fils-dieu-père légèrement allongé sur vos genoux. Juste le temps de poser, hein, vous ne pourrez pas garder le corps, il doit ressusciter et monter au ciel. » - « C’est dur. » - « Sans doute, mais, par la suite, vous monterez  vous aussi au ciel avec votre vrai corps d’aujourd’hui. » - « Mon corps ? Mais que voulez-vous que j’en fasse ? Il me déplaît, il me gêne, j’ai encore grossi ces temps-ci. » - « Vous serez réparée là-haut, très belle, éternellement. » - « Hum. » - « Toujours vierge, jeune, belle, blanche, bleue, rayonnante et toujours plus belle, couronnée du soleil, des étoiles, objet d’une adoration perpétuelle, faisant des miracles, apparaissant même de temps en temps aux mortels. » - « Vous allez trop loin. » - « Pas moi, mais Dieu votre père qui a besoin de devenir votre fils pour être pleinement père dans son omnipotence, sa munificence, son insondable présence, son incomparable distance. » - « Bon, mettons. »

Philippe Sollers, Le Secret

L'annonciation Fra Angelico 1433 Retable (détail)

samedi, 20 juin 2009

La danse des vifs

medium_Cezanne33.jpgLe sourire de Cézanne de Raymond Alcovère
« L’art, c’est un certain rapport à la vérité et un rapport certain à l’essentiel », lit-on dans le petit roman de formation dense et lumineux que vient de publier Raymond Alcovère. Le sourire de Cézanne se lit d’une traite...

Lire ici la suite de cet article de Jean-Louis Kuffer

vendredi, 19 juin 2009

Un seul hêtre vous manque...

... peupliers.jpgEt tout est des peupliers.

Camille Pissaro, "Peupliers à Eragny" 1895

Les mots sont comme les gens

"Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions."

Christian Bobin, Tout le monde est occupé

Gaieté

06.jpg"Point d'injure ; beaucoup d'ironie et de gaieté. Les injures révoltent ; l'ironie fait rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme."

Voltaire

jeudi, 18 juin 2009

Jack Kerouac lit "Sur la route"

A écouter ici

22:06 Publié dans Grands textes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kack kerouac

La vérité...

Quand la vérité entre dans un coeur, elle est comme une petite fille qui, entrant dans une pièce, fait aussitôt paraître vieux tout ce qui s'y trouve.
Christian Bobin, Le Christ aux coquelicots

Des cris perçants

Lire ici

Des gens qui se taisent comme dans les livres

78_2514_59_ph_web.jpgIl y a dans la vie des gens qui croient nécessaire, pour être entendus, d'adopter un ton sérieux, de prendre la voix de Dieu le père. Ces gens-là sont à fuir. On ne peut décemment les écouter plus d'une minute, et d'ailleurs ils ne parlent pas: ils affirment. Ils donnent des leçons de morale, des cours de pédagogie, d'ennuyeuses leçons de maintien. Même quand ils disent vrai ils tuent la vérité de ce qu'ils disent. Et puis, merveille des merveilles, on rencontre ici ou là [..] des gens qui se taisent comme dans les livres. Ceux-là on ne se lasserait pas de les fréquenter. On est avec eux comme on est avec soi: délié, calme, rendu au clair silence qui est la vérité de tout.

Christian Bobin, Isabelle Bruges

Picasso, la femme aux cheveux jaunes

mercredi, 17 juin 2009

La plus belle intro

Celle de "Sweet Jane", avec Steve Hunter et Dick Wagner, sur l'album "Rock and roll animal", ici en stereo !

00:50 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lou reed, sweet jane

Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule

Robert_Doisneau3.jpgÀ quoi reconnaît-on ce que l'on aime. À cet accès soudain de calme, à ce coup porté au coeur et à l'hémorragie qui s'ensuit - une hémorragie de silence dans la parole. Ce que l'on aime n'a pas de nom. Cela s'approche de nous et pose sa main sur notre épaule avant que nous ayons trouvé un mot pour l'arrêter, pour le nommer, pour l'arrêter en le nommant.
(Une petite robe de fête, Christian Bobin)

Photo de Robert Doisneau